Nombre total de pages vues

mercredi 2 décembre 2015

Napoléon III

Napoléon III par Alexandre Cabanel (1865).


Charles-Louis-Napoléon Bonaparte dit Louis-Napoléon Bonaparte, né à Paris, le 20 avril 1808 et mort à Chislehurst au Royaume-Uni, le 9 janvier 1873, est un homme d'Etat français. Il est à la fois l'unique président de la Seconde République, le premier chef d'Etat français élu au suffrage universel masculin, le 10 décembre 1848, le premier président de la République française, et après la proclamation de l'Empire le 2 décembre 1852, le dernier monarque du pays, sous le nom de Napoléon III, empereur des Français.

Troisième fils de Louis Napoléon Bonaparte dit Louis Bonaparte, roi de Hollande, et d'Hortense de Beuharnais, il naît prince français et prince de Hollande: neveu de l'empereur Napoléon Ier il est à la fois neveu et petit-fils de l'impératrice Joséphine (sa grand-mère maternelle). Exilé après la chute de l'Empire, conspirateur avec son frère aîné pour l'unité italienne, il devient héritier présomptif du trône impérial après les morts successives de son frère aîné Napoléon Louis en 1831, et du duc de Reischsdadt (napoléon II, roi de Rome) en 1832.

Ses premières tentatives de coup d'Etat, mal préparées (Boulogne, Strasbourg), échouent. Il est condamné à l'emprisonnement au fort de Ham. Mais il profite des suites de la Révolution française de 1848 pour se faire élire représentant du peuple puis président de la République. Son coup d'Etat du 2 décembre 1851 met fin à la Deuxième République, et lui permet l'année suivante de restaurer l'empire à son profit. Face à l'opposition des républicains, des libéraux de Thiers, de certains monarchistes et des catholiques (après l'unité italienne), il donne à son pouvoir un caractère autoritaire qui s'atténue après 1859 pour laisser place, progressivement, à un "Empire libéral".

La philosophie politique qu'il met en place, et qu'il a présentée dans ses Idées napoléoniennes et dans L'Extinction du Paupérisme (1844), est une synthèse d'un bonapartisme mêlé à du romantisme, du libéralisme autoritaire, et du socialisme utopique. Le règne de cet admirateur de la modernité britannique est marqué par un développement industriel, économique et financier sensible, porté par une forte croissance mondiale qu'illustre la transformation de Paris sous l'autorité du préfet Haussmann.

Sa politique extérieure vise à restaurer la puissance française en Europe et dans le monde. Il rompt l'isolement diplomatique voulu au congrès de Vienne par trois puissances de la Sainte Alliance: son entente avec la Grande-Bretagne lors de la Guerre de Crimée contre la Russie, son soutien aux mouvements nationaux en particulier lors de l'unité italienne contre l'Empire d'Autriche, et ses diverses opérations outre-mer parfois en coalition avec la Grande-Bretagne permettent l'agrandissement du territoire (Nice, Savoie) ainsi qu'une expansion coloniale et commerciale. Elle provoque cependant l'hostilité de la Prusse et subit un échec au Mexique.

La fin de son régime est scellée à l'issue du piège de la Dépêche d'Ems et de la bataille de Sedan, le 2 septembre 1870, lors de la guerre franco-prussienne. Le 4 septembre 1870, la République est proclamée. Napoléon III part en exil en Angleterre, où il meurt en janvier 1873.

La vive hostilité de Victor Hugo à l'égard de Napoléon III, exprimée dans ses oeuvres et sa correspondance, les multiples pamphlets et ouvrages critiques de divers auteurs et les artistes d'une partie de la presse politique contemporaine contribuent à ce que de nombreux histoires qualifient de "légende noire" autour de Napoléon III et du Second Empire.

L'oeuvre économique et sociale du Second Empire est mise en valeur par l'historiographie officielle dès le début du XXe siècle, mais la révision du jugement historique porté sur Napoléon III lui-même est plus lente. Après la Seconde Guerre mondiale, des travaux des historiens, notamment ceux effectués par Adrien Dansette et Louis Girard, vont dans le sens d'une réhabilitation de Napoléon III, marquent une nette rupture historiographique dans la perception de celui qui est le dernier monarque français.

Jeunesse




Troisième fils de Louis Bonaparte et d'Hortense de Beauharnais, le futur empereur voit le jour rue Cerruti, à Paris, le 20 avril 1808, à une heure du matin. Il naît onze mois après le décès, en mai 1807, de son frère aîné âgé de 4 ans, Napoléon Louis Charles Bonaparte, victime d'une angine diphtérique. Comme son autre frère, Napoléon Louis Bonaparte, puis comme c'est plus tard le cas pour le roi de Rome, Louis-Napoléon reçoit à sa naissance les honneurs militaires par des salves d'artillerie tirées dans toute l'étendue de l'Empire. Son oncle l'empereur Napoléon étant absent, on ne prénomme l'enfant que le 2 juin suivant. Il n'est baptisé que deux ans plus tard, le 4 novembre 1810, à la chapelle du château de Fontainebleau. Son parrain est l'empereur et sa marraine la nouvelle impératrice, Marie-Louise.


Napoléon se conduira en véritable "grand-père" envers les enfants d'Hortense, n'hésitant pas à passer du temps avec eux dès que ses obligations le lui permettaient. Il aimait par exemple à faire rire aux éclats Louis-Napoléon en le saisissant par la tête pour le relever du sol. C'est lors de ces moments passés ensemble que Napoléon Ier et la reine Hortense surnommèrent affectueusement le futur Napoléon III, "monsieur Oui Oui" car celui-ci n'est pas, génétiquement, le neveu en lignée paternelle de Napoléon Ier, puisqu'il appartient à un haplogroupe du chromosome Y différent de celui de Napoléon et de Jérôme, et font naître l'hypothèse, difficile à vérifier, qu'il serait soit un enfant adultérin, soit que son père l'était, c'est-à-dire que Louis Bonaparte ne serait que le demi-frère de Napoléon et de Jérôme, autrement dit que l'aîné et le benjamin de Letizai Bonaparte n'avaient pas le même père.

En juin 1814, à la mort de leur grand-mère maternelle, l'ex-impératrice Joséphine, Louis-Napoléon et son frère sont chargés de conduire le deuil lors du transfert de la dépouille à l'église de Rueil-Malmaison.

Exil: entre Rome et le Château d'Arenenberg

La loi du 12 janvier 1816, bannissant tous les Bonaparte du territoire français et les obligeant à céder leurs biens, contraint l'ex-reine Hortense de Hollande, séparée de corps et de biens avec son mari, à s'exiler en Suisse alémanique où elle achète, en 1817, le château d'Arenenberg, dominant le lac de Constance. Elle s'y installe avec Louis-Napoléon tandis que son frère aîné part vivre avec son père à Rome, où celui-ci tente d'obtenir l'annulation de son mariage avec Hortense.

Sans soucis d'ordre matériel, Louis-Napoléon est élevé par sa mère à Arenenberg en été et à Augsbourg en hiver. Son éducation est d'abord prise en charge par quelques professeurs occasionnels mais, en général, il est souvent livré à lui-même et fait de longues escapades dans la campagne suisse. Quand son père s'aperçoit du faible niveau d'éducation de son fils cadet, alors âgé de 12 ans, il menace Hortense de lui retirer la garde de l'enfant si elle ne reprend pas en main son éducation. Elle fait alors appel à un nouveau précepteur, nommé Philippe Le Bas, fils d'un conventionnel jacobin, tandis qu'un ancien officier de son oncle Napoléon Ier lui enseigne l'Art de la guerre dans le culte de l'empereur et dans la certitude de son destin dans la dynastie. Soumis à une discipline stricte ses résultats s'améliorent dans quasiment toutes les matières. A partir de 1823, c'est à Rome qu'Hortense et ses fils s'installent, rejoignant Arenenberg en été. Dans cette ville, Louis-Napoléon découvre la politique aux côtés des libéraux italiens autour des thèmes de liberté et de nation mais c'est en Suisse qu'il s'engage dans la carrière militaire en 1830, à l'Ecole militaire centrale fédérale de Thoune alors dirigée par le futur général Dufour.

A la suite des Trois Glorieuses qui renversent Charles X en France, Louis-Napoléon et son frère aîné, Napoléon-Louis, espèrent que s'ouvre pour eux une ère nouvelle mais la loi du 11 septembre 1830, votée par la nouvelle assemblée orléaniste qui craint une offensive bonapartiste, impose à nouveau l'interdiction de séjour des Bonaparte dans le royaume.

Les fils Bonaparte sont indignés, ce qui amène la reine Hortense à partir avec eux pour Rome afin de les éloigner de la France. Ils sont néanmoins rapidement impliqués dans les conspirations des carbonari visant à favoriser la cause de l'unité italienne et à déposséder le pape de son pouvoir séculier. Les deux frères participent ainsi aux insurrections dans les territoires pontificaux de l'Italie centrale; avant de devoir finalement se replier sur Bologne, où ils se retrouvent encerclés par l'armée autrichienne et les armées pontificales, décidées chacune à leur régler leur sort. Repliés sur Forli, les deux frères doivent aussi faire face à une épidémie de rougeole qui emporte de nombreux soldats, déjà affaiblis par leurs blessures. Le 17 mars 1831, Napoléon-Louis succombe à l'épidémie tandis que Louis-Napoléon subit à son tour les effets de la maladie. La reine Hortense parvient à rejoindre son fils, à l'exfiltrer vers la France et à rejoindre Paris, où elle obtient du roi Louis-Philippe une audience le 26 avril 1831 et l'autorisation de rester à Paris plusieurs jours, le temps que Louis-Napoléon subit à son tour les effets de la maladie. La reine Hortense parvient à rejoindre son fils, à l'exfiltrer vers la France et à rejoindre Paris, où elle obtient du roi Louis-Philippe une audience le 26 avril 1831 et l'autorisation de rester à Paris plusieurs jours, le temps que Louis-Napoléon se rétablisse, avant de rejoindre l'Angleterre. Ils gagnent ensuite la Suisse en août 1831, après avoir reçu de l'ambassade de France à Londres un sauf-conduit pour traverser le territoire français. 

En 1832, Louis-Napoléon obtient la nationalité suisse dans le canton de Thurgovie, ce qui fait dire à certains historiens que Louis-Napoléon Bonaparte a été "le seul Suisse à régner sur la France".

Une marche chaotique vers le pouvoir

Après la mort du duc de Reichstadt le 22 juillet 1832, Louis-Napoléon apparaît comme l'héritier de la couronne l'héritier de la couronne impériale d'autant plus que ni Joseph Bonaparte ni son père Louis ne manifestent l'envie de reprendre ce titre. Lors d'une conférence familiale depuis la mort de l'aiglon. Exalté par les climats d'intrigues, le prince organise ses réseaux, rencontre en Belgique des émissaires du marquis de La Fayette et rédige un manuel d'artillerie pour les officiers suisses qui le fait connaître de la presse militaire française et qui lui vaut d'être récompensé par la promotion au grade de capitaine dans le régiment d'artillerie de Berne.

Pendant ces années qu'il passe principalement en Suisse, il correspond avec les chefs français de l'opposition, écrit et publie des ouvrages ou des manifestes et reçoit à Arenenberg de nombreuses telles le comte François-René de Chateaubriand, Madame Récamier ou encore Alexandre Dumas.Il continue aussi à conspirer.

Retour en Europe

Le prince ne reste pas longtemps aux Etats-Unis. Alors qu'il s'apprête à entreprendre un périple à travers tout le pays, il apprend la détérioration importante de l'état de santé de sa mère. Il rentre aussitôt en Europe pour être à son chevet à Arenenberg mais, interdit de séjour sur le continent par le gouvernement par le gouvernement de Louis-Philippe, il est bloqué en Angleterre où il essaie d'obtenir, auprès des ambassades européennes, un passeport et un visa. En août 1837, c'est finalement muni d'un faux passeport américain qu'il parvient à se rendre en Suisse auprès de sa mère mourante. Maintenue en vie sous opium, elle décède le 5 octobre 1837. 

En juin 1838, l'un des conjurés de Strasbourg, l'ex-lieutenant Armand Laity, apparenté par alliance à la famille de Beauharnais, publie à 10 000 exemplaires une brochure, financée par Louis-Napoléon, intitulée Relation historique des événements du 30 octobre 1836. Cette publication est un brûlot destiné à provoquer le régime en faisant l'apologie du bonapartisme, centré autour du triptyque nation, peuple et autorité. Dans la propagande bonapartiste ainsi présentée, la démocratie, définie comme "le gouvernement d'un seul par la volonté de tous", s'oppose à la république supposée être, pour Louis-Napoléon, "le gouvernement de plusieurs obéissant à un système". En réaction, la brochure est saisie par les autorités alors que Laity est arrêté, traduit devant la Cour des pairs pour attentat contre la sûreté de l'Etat et condamné à 5 ans de détention et 10 000 francs d'amende le 11 juillet 1838.

A la suite de cet incident, le gouvernement français demande à la Suisse, au début du mois d'août 1838, l'expulsion du prince Louis-Napoléon et, sûr de l'appui de l'Autriche, menace la confédération d'une rupture des relations diplomatiques et même d'une guerre, allant jusqu'à concentrer dans le Jura une armée de 25 000 hommes. Le gouvernement suisse, indigné, invoque la qualité de bourgeois de Thurgovie du prince. En définitive, celui-ci annonce, le 22 août, son intention de s'installer en Angleterre ce qui permet au gouvernement de Berne de déclarer l'incident clos sans avoir eu à céder aux exigences françaises.

Ayant hérité de sa mère, Louis-Napoléon a les moyens d'imprimer à 50 000 exemplaires une brochures détaillant son programme politique, Les Idées napoléoniennes, dans laquelle il fait de Napoléon Ier le précurseur de la liberté. Au début de 1840, l'un de ses partenaires les plus fidèles, Fialin, lance à son tour ses Lettres de Londres, qui exaltent ce prince qui "ose seul et sans appui, entreprendre la grande mission de continuer l'oeuvre de son oncle".

Echec de la tentative de soulèvement de la garnison de Boulogne-sur-Mer

  


Depuis Londres, le prince prépare une nouvelle tentative de coup d'Etat. Voulant profiter du mouvement de ferveur bonapartiste suscité par la décision du cabinet Thiers de rapporter de Sainte-Hélène les cendres de l'empereur, il débarque dans la nuit du 5 au 6 août 1840 entre Boulogne-sur-Mer et Wimereux, en compagnie de quelques comparses, parmi lesquels un compagnon de Napoléon Ier à Sainte-Hélène, le général de Montholon, avec l'espoir de rallier le 42 régiment de ligne.

La tentative de ralliement du 42e est un échec total. Cernés par la gendarmerie, les hommes du 42e régiment et la garde nationale,plusieurs conjurés sont tués ou blessés tandis que Louis-Napoléon est lui-même touché par une balle. Arrêtés et écroués sur ordre du procureur Hubert Legagneur, les conjurés sont traduis en justice. Leur procès se tient devant la Chambre des pairs du 28 septembre au 6 octobre, dans une indifférence générale. Le prince, défendu par le célèbre avocat légitimiste Pierre-Antoine Berryer, prononce un discours dans lequel il déclare:"Je représente devant vous un principe, une cause, une défaite.Le principe, c'est la souveraineté du peuple, la cause celle de l'Empire, la défaite Waterloo.Le principe, vous l'avez reconnu, la cause, vous l'avez servie, la défaite vous voulez la venger. Représentant d'une cause politique, je ne puis accepter, comme juge de mes volontés et de mes actes, une juridiction politique. Je n'ai pas de justice à attendre de vous, et je ne veux pas de votre générosité". Il n'en est pas moins condamné à l'emprisonnement à perpuité.

La détention au fort de Ham

Ses conditions de détentions sont assez confortables. Il bénéficie pendant son internement à forteresse de Ham-qu'il appelle plus tard " l'université de Ham-d'un appartement de plusieurs pièces. Il peut correspondre avec l'extérieur, reçoit des visites et des livres. Don Francisco Castellon, missionné par trois pays d'Amérique centrale, obtient la permission de le visiter pour lui proposer d'étudier une jonction entre les deux océans, pour laquelle le futur empereur s'est déjà passionné, le projet de canal du Nicaragua.

Il met à profit cette captivité pour se consacrer à l'étude et faire avancer sa cause dans l'opinion par l'écriture de brochures et d'articles dans les revues locales. Il écrit notamment Extinction du paupérisme (1844), ouvrage influencé par les idées saint-simoniennes et développant un moyen populiste pour accéder au pouvoir: "Aujourd'hui, le règne des castes est fini, on ne peut gouverner qu'avec les masses.

Le 25 mai 1846, après six années de captivité, il s'évade de sa prison avec le concours d'Henri Conneau, en empruntant les vêtements et les papiers d'un peintre nommé Pinguet. Les caricaturistes du Second Empire transforment plus tard le nom de celui-ci en Badinguet, qui évoque un plaisantin, pour en affabuler l'empereur en rappelant son passé de conspirateur. Avant que sa fuite soit découverte, il est déjà en Belgique et, le lendemain, en Angleterre.

La révolution de 1848

Il s'établit à Londres où il apprend la mort de son père à Livourne, le 25 juillet 1846. C'est durant cette période, moins active politiquement, que Louis-Napoléon rencontre Miss Howard, qui partage sa vie jusqu'en 1853. La Révolution française de 1848, qui met fin à la monarchie de Juillet, fournit au prince l'occasion de revenir une première fois en France à la fin du mois de février puis de voir sa candidature présentée par ses partisans aux élections de députés à l'Assemblée nationale.

En 1846,Don Francisco Castellon lui transmet les pouvoirs du gouvernement nicaraguayen pour organiser une société européenne pour le projet de canal du Nicaragua, qui doit recevoir le nom de "Canal Napoléon du Nicaragua". Le futur empereur français y travaille sérieusement, sous la forme d'un mémoire rédigé avec des ingénieurs. Il prévoit de se rendre au Nicaragua mais la Révolution de 1848 modifie ses projets. Il en reparlera en 1852 à l'industriel français du chocolat Antoine Brutus Menier, dont le fils Emile-Justin Menier fera avancer le canal du Nicaragua mais sans parvenir à le concrétiser, car une concession a été accordée à des Américains.

Président de la République puis prince-président

Les campagnes électorales de 1848

Le 4 juin 1848 candidat à l'Assemblée nationale constituante, Louis-Napoléon Bonaparte est élu dans quatre département: la Seine, l'Yonne, la Charente-Inférieure et la Corse.Ses cousins les princes Napoléon-Jérôme, Pierre Bonaparte et Lucien Murat sont aussi parmi les nouveaux élus. L'élection de Louis-Napoléon est suivie de manifestations populaires qui inquiètent la nouvelle assemblée composée de 900 élus dont 500 républicains démocrates et socialistes ainsi qu'une poignée de bonapartistes. Le 12 juin, Alphonse de Lamartine propose à ses collègues parlementaires de rendre exécutoire la loi d'exil du 10 avril 1832 qui interdisait le territoire français aux membres des familles ayant régné sur la France dans le cas où Louis-Napoléon s'aviserait de rentrer. Sa proposition est finalement rejetée. Le lendemain, la validation de l'élection, soumise à accord de l'assemblée, est acquise à une large majorité comprenant notamment les républicains Jules Favre et Louis Blanc. Néanmoins, le 16 juin, accusé d'appeler à la révolte, Louis-Napoléon annonce renoncer à remplir son mandat. Il a ainsi la chance de ne pas être compromis dans la répression sanglante des ouvriers parisiens révoltés lors des journées insurrectionnelles des 22-26 juin (Journées de Juin) dont le bilan s'élève à environ 5 000 insurgés tués ou fusillés, environ 1 500 soldats tués, 25 000 arrestations et 11 000 condamnations à la prison ou à la déportation en Algérie. Ces journées de juin creusent alors un fossé temporairement infranchissable entre les autorités de la République et les ouvriers.

Louis-Napoléon décide alors de se présenter aux élections législatives intermédiaires des 17 et 18 septembre 1848. Candidat dans les quatre départements qui l'avaient déjà élu en juin, il est aussi candidat en Moselle. Elu dans ces cinq départements, il obtient en tout 300 000 voix provenant également des départements de l'Orne, du Nord, et de la Gironde où il n'était pourtant pas candidat. Il rentre alors en France et s'installe à Paris le 24 septembre. Le lendemain, son élection est choisie sur les bancs supérieurs de la gauche, dans la cinquième travée, dans cette zone communément appelée la Montagne, derrière son ancien précepteur, le représentant Vieillard", dixit Victor Hugo.


A la suite de la promulgation, le 4 novembre 1848, de la constitution de la IIe République, Louis-Napoléon Bonaparte est candidat à l'élection présidentielle, la première au suffrage universel masculin en France. Ses adversaires sont Louis Eugène Cavaignac (républicain modéré), Alphonse de Lamartine (républicain), Alexandre Ledru-Rollin (républicain avancé), François-Vincent Raspail (socialiste) et Nicolas Changarnier (royaliste légitimiste).

Durant la campagne, qu'il fait financer par son amie anglaise Miss Harriet Howard et par le marquis Pallavicini, le prince prend de nombreux contacts (Proudhon, Odilon Barrot, Charles de Montalembert, etc...) et parvient à recevoir le soutien du parti de l'Ordre, à commencer par Adolphe Thiers, mais aussi le soutien de Victor Hugo pour qui, alors le nom de Napoléon ne peut se rapetisser. Les votes ont lieu les 10 et 11 décembre 1848 et les résultats proclamés le 20 décembre. Louis-Napoléon est élu pour quatre ans avec 5 572 834 voix (74,2% des voix) contre 1 469 156 voix à Cavaignac (19,6%), 376 834 voix à Ledru-Rollin (5%), 37 106 voix à Raspail (0.5%) et quelque 20 000 voix à Lamartine (0.3%)

Premier président de la République, âgé de 40 ans et 8 mois lors de son élection, il est le plus jeune président élu, jusqu'à l'élection d'Emmanuel Macron, âge de 39 ans en 2017. Son élection profite à la fois de l'adhésion massive des paysans, de la division d'une opposition hétérogène (gauche, modérée ou royaliste), et de la légende impériale, surtout depuis le retour des cendres de Napoléon Ier en 1840. Si quatre départements ne donnent pas la majorité relative à Louis-Napoléon (Finistère, Morbihan, Var et Bouches-du-Rhône), une vingtaine, essentiellement situés dans le sud-est et l'ouest, ne lui accordent pas de majorité absolue que dans 34 départements, il dépasse les 80% des suffrages. Son électorat, bien que majoritairement paysan, se révèle hétéroclite mêlant bourgeois hostiles aux partageux, citadins des petites villes et ouvriers parisiens. D'ailleurs à Paris, il réalise un score homogène, recueillant autant de voix dans les beaux quartiers de l'ouest de l'est.

Louis-Napoléon, qui s'est "toujours donné, en parole et en acte comme héritier de l'Empire" prête serment à l'Assemblée constituante le 20 décembre 1848 et "jure fidélité à une Constitution formellement contraire à "son destin". Devant les représentants, qui ne savent pas s'ils assistent à une convention ou à un parjure et l'applaudissent donc peu, il devient le premier président de la République française et, par conséquent, le premier à s'installer le soir même au palais de l'Elysée, choisi de préférence aux symboles monarchiques qu'étaient le palais des Tuileries et le Palais-Royal.

L'homme qui accède alors à la présidence se pense doublement légitime: d'une part parce qu'il est un héritier, celui de l'empereur Napoléon Ier, et d'autre part parce qu'il est le premier élu du peuple tout entier, adoubé par le suffrage universel masculin. Comme son oncle, le président Louis-Napoléon Bonaparte adhère aux principes juridiques et sociaux de 1789, comme lui, il pense qu'ils doivent "être complétés par un pouvoir politique fort", et comme lui, il est patriote et pense que la France est porteuse de valeurs. Par contre, en raison de son héritage et de son éducation maternelle, il croit au progrès, pense que l'Etat a un devoir d'intervenir pour faire face au paupérisme engendré par la modernité industrielle et admire l'Angleterre.

Ces éléments, son activisme et son réformisme social le rapprochent des républicains mais le fait qu'il soit un prétendant à la restauration de la monarchie impériale héréditaire empêche toute alliance avec eux et l'amène à pactiser avec le parti de l'Ordre tout en étant aussi son opposant.

Son élection est suivie de près à la Bourse de Paris, ou le cours du principal titre coté, la rente 5%, bondit de 65 à 80 en quelques jours.

La confrontation entre le président et l'Assemblée

La constitution de 1848 limite largement les pouvoirs du président qui est soumis soit à l'Assemblée soit au Conseil d'Etat. Dès son installation, Louis-Napoléon reprend l'apparat impérial, circulant à bord de coupés aux armoiries napoléoniennes et choisissant comme tenue officielle l'uniforme de général en chef de la garde nationale comprenant bicorne à plume, grand cordon et plaque de la légion d'honneur. Célibataire, sa compagne britannique Miss Howard ne peut prétendre au rôle de première dame et d'hôtesse de l'Elysée qui est finalement exercé par sa cousine, la princesse Mathilde. Si un homme vient à prendre de l'importance das l'entourage de Louis-Napoléon, c'est son demi-frère adultérin, l'homme d'affaires et ancien député Charles de Morny, dont Louis-Napoléon a découvert l'existence après le décès de sa mère et qui le rencontre pour la première fois en janvier 1849, à l'Elysée, avant de devenir un peu plus tard l'un des conseillers.

Dans le cadre de ses pouvoirs exécutifs, Louis-Napoléon demande à Thiers de former le premier gouvernement de la présidence mais celui-ci refuse. Aucun dirigeant orléaniste ne souhaite diriger le cabinet, ni aucun des républicains approchés par le président. C'est finalement Odilon Barrot, ancien chef de l'opposition constitutionnelle, qui accepte de diriger un gouvernement n'appartient à la mouvance du président, ce qui lui donne le nom de ministère de la captivité, selon l'appellation donnée par Emile Ollivier au motif que Louis-Napoléon en est le captif, encerclé par les hommes du parti de l'Ordre. L'un des leurs, le général Nicolas Changarnier, prend d'ailleurs la tête de la Garde nationale et de la division de Paris.

L'assemblée élue en 1848 tarde à se dissoudre et, à partir du 24 janvier, les tensions montent entre le gouvernement et les élus. L'épreuve de force est évitée de justesse à la fin du mois de janvier quand le général Changarnier, commandant de la garde nationale, prend l'initiative de rassembler les troupes autour de l'assemblée sous prétexte de la défendre contre un éventuel mouvement populaire. La pression de Changarnier, soupçonné de part et d'autre de préparer un coup d'Etat, le gouvernement et les députés à négocier. Ces derniers acceptent finalement, à une courte majorité, de se séparer.

L'expédition militaire de Rome et les élections législatives

La campagne des élections est perturbée par le déclenchement de l'expédition militaire à Rome que le gouvernement Barrot a initialement engagé comme une opération de couverture de la République romaine avec pour mission de s'interposer entre les volontaires républicains de Giusseppe Garibaldi et l'armée autrichienne venue secourir le pape Pie IX, chassé de Rome par les républicains.Le corps expéditionnaire français de 14 000 hommes, débarqué le 24 avril à Civitavecchia et dont la mission est en fait mal définie, fait alors face à la résistance des troupes républicaines sous le commandement de Garibaldi qui l'accueillent à coups de canon. Le 30 avril, le général Nicolas Oudinot est obligé de battre en retraite devant Rome laissant derrière lui plus de 500 morts et 365 prisonniers. Informé des événements Louis-Napoléon accepte toutes les requêtes de renfort demandées par Oudinot et, sans consulter ses ministres, lui demande de rétablir la puissance temporelle du pape. Outrés, 59 députés républicains exigent la mise en accusation du président français. Conjointement avec l'Assemblée, le président envoie également en Italie un nouvel ambassadeur plénipotentiaire, le baron Ferdinand de Lesseps, chargé de trouver une trêve avec les républicains romains. Ces décisions sont prises rapidement en raison de la proximité des élections législatives françaises organisées le 13 mai, la restauration du pape étant devenue l'un des principaux thèmes du débat électoral. Ces élections doivent permettre aussi de trancher entre le président et l'assemblée sortante à majorité républicaine. Le scrutin, marqué par un fort taux d'abstention (31%), se traduit par l'éviction de la majorité des sortants, dont Lamartine, et la victoire de l'Union libérale (59%) dominée par le parti de l'Ordre (53% des voix et environ 450 élus dont 200 légitimistes sur un total de 750 députés), par l'effondrement des républicains modérés (environ 80 élus) et la progression des démocrates-socialistes (34% des suffrages soit environ 250 élus).


La journée du 13 juin 1849 et ses suites

Ce "crétin que l'on mènera", selon l'expression d'Adolphe Thiers qui l'avait soutenu durant la campagne présidentielle parce qu'il croyait pouvoir l'utiliser en lui procurant de l'argent et des femmes avant de le remplacer au terme de son mandat, s'avère finalement beaucoup plus intelligent et retors. Après les élections de mai, Louis-Napoléon reconduit Odilon Barrot à la direction de son deuxième gouvernement comprenant notamment Alexis de Tocqueville (nommé aux Affaires étrangères) et Hippolyte Passy (confirmé aux finances). La nouvelle assemblée refuse de ratifier la trêve et l'accord négocié par de Lesseps tandis qu'Oudinot reprend l'offensive contre les troupes de Garibaldi avec, pour mission claire, cette fois, de rétablir le pouvoir temporel du pape. Les répercussions, en France, de cette expédition militaire atteignent leur paroxysme le 13 juin 1849 quand, à l'issue du vote de l'assemblée approuvant le renforcement de crédits financiers à l'expédition militaire contre la République romaine, un groupe de députés démocrates-socialistes, sous l'égide d'Alexandre Ledru-Rollin, réclame la mise en accusation du président de la République et du ministère d'Odilon Barrot, à qui ils reprochent de violer l'article 5 du préambule de la constitution selon laquelle la République vues de conquête, et n'emploie jamais ses forces contre la liberté d'aucun peuple". La manifestation républicaine organisée républicains se retranchent alors au Conservatoire national des arts et métiers où ils décident de siéger en convention et de constituer un gouvernement provisoire. Au bout de trois quarts d'heure, ils sont néanmoins obligés de prendre la fuite. L'échec de cette journée de manifestation entraîne de nouvelles mesures de répression, qui achèvent de désorganiser l'extrême gauche. Six journaux sont supprimés et, le 19 juin, l'assemblée adopte une loi sur les clubs permettant au gouvernement de suspendre la liberté d'association pour un an. Le 27 juillet, une loi complémentaire sur la presse est votée, instituant de nouveaux délits et règlements sévèrement le colportage. Enfin, le 9 août, une autre loi autorise le gouvernement à proclamer l'état de siège avec un minimum de formalités. Les responsables républicains impliqués dans la journée du 13 juin sont déférés devant la Haute Cour de justice de Versailles qui siège du 12 octobre au 15 novembre. Sur 67 accusés dont 16 députés, poursuivis pour "avoir participé à un complot ayant pour but 1e de détruire ou de changer la forme du gouvernement, 2e d'exciter à la guerre civile, en amant ou portant les citoyens à s'armer les uns contre les autres", 31 seulement sont présents. Les 16 députés sont déchus de leurs mandats électoraux tandis que Ledru-Rollin et 35 autres accusés absents sont condamnés par contumace à la déportation.

Les premiers voyages présidentiels en province

Louis-Napoléon Bonaparte se tient en retrait durant tout l'été 1849, laissant les hommes du parti de l'Ordre et l'assemblée voter toutes les lois permettant de renforcer l'ordre social. Pour se faire réellement connaître des Français et diffuser ses idées politiques, il inaugure en province des voyages de type présidentiel, profitant notamment du développement du chemin de fer. Soucieux de conforter sa popularité, il parcourt ainsi l'Hexagone, se faisant acclamer par la foule et les soldats. Partout où il se rend (Chartres, Amiens, Angers, Tours, Nantes, Rennes, Saumur, Rouen, Le Havre), il prêche avec des formules simples et directes la concorde et l'union de tous les citoyens, inaugurant ainsi une technique langagière éloignée des harangues rhétoriques utilisées par les représentants de la classe politique traditionnelle. Il écarte, à cette époque, une proposition de Changarnier qui l'assure de son soutien dans un éventuel coup  de force contre l'assemblée. La popularité du président est à son zénith, ce qui permet à la presse bonapartiste de commencer à militer pour la prolongation du mandat présidentiel. Durant ses déplacements, il est parfois accompagné discrètement de sa compagne, Miss Howard. Celle-ci fréquente peu le palais de l'Elysée et réside dans un hôtel particulier de la rue du Cirque où elle vit avec Louis-Napoléon et reçoit les familiers du président.

Politiquement, il se démarque un peu plus du parti de l'Ordre et de l'Assemblée, encore une fois à cause de la question romaine. En août, sa lettre de soutien à la "liberté italienne" contre le rétablissement de l'absolutisme du pouvoir temporel du pape lui accorde le soutien de la gauche et la désapprobation du gouvernement et de la majorité parlementaire. Le 31 octobre 1849, il obtient la démission d'Odilon Barrot puis la formation d'un nouveau gouvernement formé par le général Alphonse Henri, comte d'Hautpoul, un légitimiste vétéran des guerres napoléoniennes. C'est le "ministère des Commis", lié au duc de Morny, dans lequel on trouve Ferdinand Barrot, frère d'Odilon Barrot, mais aussi Eugène Rouher. La désignation de Victor Hugo à un poste ministériel est néanmoins écartée, au grand dam de ce dernier, à la suite de son discours incendiaire tenu contre le parti de l'Ordre à l'Assemblée dix jours plus tôt. Sa désignation aurait en effet été perçue comme une provocation par la majorité conservatrice, mais l'ancien pair du royaume tire de sa récusation ministérielle des implications politiques et personnelles lourdes de conséquences pour le président.

La loi Falloux et la loi électorale du 31 mai 1850

Même si le gouvernement est dévoué à Louis-Napoléon, il n'en reste pas moins que c'est l'assemblée qui vote les lois que le gouvernement doit ensuite appliquer. Profitant de sa position dominante, l'assemblée conservatrice approuve, le 15 mars 1850, par 399 voix contre 237, la loi Falloux sur la liberté de l'enseignement, favorisant de fait l'influence du clergé. N'ayant aucun intérêt à heurter ce dernier ou l'électorat catholique, le président ne songe pas à émettre de réserves. C'est également le cas pour la loi du 31 mai 1850, limitant le suffrage universel masculin. En imposant une résidence de trois ans pour les électeurs et en multipliant les cas de radiation des listes (vagabondage, condamnation pour rébellion ou atteinte à l'ordre public, etc...), la nouvelle loi élimine 30% du corps électoral dont beaucoup sont des artisans et des ouvriers saisonniers Cependant, même si les éliminés sont en grande partie des électeurs de la "tendance démocrate-socialiste", on y trouve aussi des partisans légitimistes ou des napoléoniens, partisans de la "démocratie plébiscitaire". Dans un premier temps, "Louis-Napoléon laissa faire et même favorisa la manoeuvre qui privait l'ennemi commun de moyen d'action légale" mais, dans un second temps, il "ne tarda pas à s'en désolidariser". Cette compromission avec les membres du parti de l'Ordre ne peut pas beaucoup lui plaire d'autant plus que le suffrage populaire est l'un de ses principes et que la nouvelle loi lui retire ses électeurs. Convaincu de pouvoir remporter une prochaine élection présidentielle avec une majorité considérable, la loi électorale qui vient d'être adoptée par l'Assemblée "demeurait à ses yeux temporaires et de toute circonstance" dans un contexte où les républicains ne peuvent accéder au pouvoir "ni par l'insurrection ni par l'élection". Durant sa tournée hexagonale de l'été, Louis-Napoléon constate l'effervescence qui monte dans les provinces. Au cours du voyage présidentiel qu'il effectue dans l'est, il critique l'Assemblée nationale en déclarant "Mes amis les plus sincères, les plus dévoués ne sont pas dans les palais, ils sont sous le chaume, ils ne sont pas sous les lambris, dorés, ils sont dans les ateliers et dans les campagnes". A Lyon, dans une ville qui ne lui est pas acquise, il déclare que "l'élu de 6 millions de suffrages exécute les volontés du peuple et ne les trahit pas", manière pour lui de désavouer publiquement la nouvelle loi électorale. En septembre 1850, en Normandie, terre acquise et conservatrice, il se pose en mainteneur de l'Etat des choses existant pourvu que le peuple veuille le laisser au pouvoir, multipliant les allusions à une évolution politique à venir en référence aux voeux exprimés par des conseils généraux sollicités en faveur d'une révision constitutionnelle pour permettre la réélection du président.

Au début de l'automne 1850, le conflit larvé entre le président et l'Assemblée est devenu une guerre ouverte. Durant l'été, l'Assemblée a adopté plusieurs autres lois liberticides (loi du 16 juillet 1850 sur la liberté de la presse, loi du 30 juillet 1850 sur la censure des théâtres). A son retour à Paris, Louis-Napoléon s'attache à organiser ses partisans déclarés, rassemblés notamment au sein de la Société du 10 Décembre et de celle du 15 août, et à mettre l'armée de son côté, multipliant les promesses d'avancement et les augmentations de solde. 

La Revue de Satory et ses conséquences

Le 10 octobre 1850, lors de la Revue de Satory, la cavalerie salue le chef de l'Etat en clamant "Vive Napoléon! Vive l'Empereur!" à la fureur de Changarnier, qui, depuis 1849, s'est éloigné du président et est passé dans le camp de la majorité parlementaire pour laquelle il est censé représenter le bras armé de la restauration monarchique. Changarnier commet un impair en tentant d'organiser un coup de force, proposant avec plusieurs membres de la commission de permanence de l'Assemblée de faire arrêter le président alors que Thiers propose de mettre en place une dictature pour une période de six mois. De provocations en provocations, Changarnier tente de pousser Louis-Napoléon à la faute. Habilement, ce dernier isole le commandant de la garde nationale de ses plus fidèles lieutenants et annonce son intention de le destituer est validé tandis que le gouvernement est remanié. L'affrontement avec les députés menés par Thiers se conclut par le vote d'une motion de défiance envers le cabinet par 415 voix contre 286. Louis-Napoléon ne passe pas outre, résiste aux sollicitations de Persigny d'employer la force et accepte la démission du gouvernement, remplacé par un "petit ministère", composé de techniciens et de fonctionnaires, entré dans l'Histoire sous le nom de "ministère sans nom". En échange de cette preuve d'apaisement de la part du président, l'Assemblée entérine la destitution de Changarnier. Néanmoins, Louis-Napoléon ressort victorieux de cette confirmation avec l'Assemblée, cette dernière ayant perdu celui qui faisait office de bras armé. Il pense alors pouvoir pousser son avantage et obtenir une modification des règles constitutionnelles qui lui permettrait de briguer un second mandat.

L'affrontement de 1851

La confrontation entre le président et l'Assemblée

Louis-Napoléon, président

Depuis qu'il a été élu au suffrage universel masculin avec 74% des voix, avec le soutien du Parti de l'Ordre, "président des Français" en 1848 contre Louis Eugène Cavaignac, Louis-Napoléon Bonaparte s'est retrouvé en confrontation politique perpétuelle avec les députés de l'Assemblée nationale. Ainsi, déjà endetté lors de sa prise de fonction, Louis-Napoléon n'avait cessé de demander l'augmentation de son traitement. D'abord de 600 000 francs, son traitement annuel avait rapidement été doublé à 1,2 million de francs. En 1850, il demande un nouveau doublement à 2,4 millions de francs, et l'Assemblée lui donne finalement 2,16 millions. En 1851, il demande encore une augmentation, cette fois de 1,8 million de francs supplémentaires (pour un total de 3,96 millions), que l'Assemblée refuse finalement par 396 voix contre 294.

 La tentative de réforme constitutionnelle

La constitution établissant la non-rééligibilité du président, Louis-Napoléon doit légalement quitter le pouvoir en décembre 1852. Comme les élections législatives doivent avoir lieu la même, l'assemblée vote le principe de tenir les deux élections à la même date, le 2 mai 1852, soit sept mois avant la fin théorique du mandat présidentiel. Durant l'année 1850, afin de permettre la réélection du président de la République, le gouvernement Hautpoul demande aux préfets de mettre à l'ordre du jour des réunions des conseils généraux des départements l'adoption d'un voeu de révision de la constitution de 1848. Ce faisant, il entre en conflit avec une partie des parlementaires peu favorables à une telle réforme des institutions. Au début de l'année 1851, la classe politique dans son-ensemble, à l'exception des républicains, est cependant convertie à l'idée d'une révision constitutionnelle pour supprimer la clause de non-réeligibilité du président de la République, le risque de voir Louis-Napoléon se représenter illégalement et remporter la majorité des suffrages populaires étant réel. Dans sa volonté de réformer la constitution, le président a le soutien d'Odilon Barrot, du comte de Montalembert et d'Alexis de Tocqueville. La première moitié de l'année 1851 est ainsi passée à proposer des réformes de la constitution afin qu'il soit rééligible et que son mandat passe de 4 à 10 ans. Or, à cette demande de révision constitutionnelle, le président ajoute l'abrogation de la loi électorale du 31 mai 1850 qui a supprimé le suffrage universel. Sur ce point, les résistances sont plus nombreuses et exprimées au sein même du parti de l'Elysée.

Le 11 avril 1851, Louis-Napoléon Bonaparte remplace le "ministère sans nom" par une nouvelle équipe ouverte aux membres du parti de l'Ordre, à commencer par Léon Faucher, dans le but de rallier le vote conservateur mais c'est un échec, Faucher lui-même restant hostile à l'abrogation d'un texte qu'il avait défendu un an auparavant. A la suite d'une vaste campagne de pétition recueillant 1 456 577 signatures sur l'ensemble du territoire national (avec une prépondérance de signatures en provenance du bassin parisien, de l'Aquitaine et du Nord), le duc de Broglie dépose, le 31 mai 1851, à l'assemblée, une proposition de loi soutenue par 233 députés pour réviser la constitution et ainsi rendre rééligible le président de la République. Louis-Napoléon lui-même ne reste pas inactif et se rend en province où ses discours, en forme de manifeste et d'appel au peuple, provoquant la fureur des conservateurs. Ainsi s'en prend-il, à Dijon, à "l'inertie de l'Assemblée législative" et se met-il "à la disposition de la France". Si les deux tiers des conseils généraux se rallient à sa cause, les orléanistes de Thiers et légitimistes de Changarnier s'allient à la fraction ouverte de gauche "Montagne parlementaire" pour le contrer.

Le 21 juillet 1851, au bout d'un mois de débat, l'Assemblée se prononce sur la réforme constitutionnelle. Bien qu'obtenant une majorité de 446 voix en sa faveur (dont celle d'Alexis de Tocqueville) contre 278 voix opposées, la révision constitutionnelle n'est pas adoptée, faute d'avoir obtenu plus de 3/4 des suffrages des députés, seuil exigé par la constitution. Il manque aux partisans de la révision une centaine de voix, dont celles des orléanistes intransigeants comme Charles de Rémusat et Adolphe Thiers.

La marche vers le coup d'Etat

Si les rumeurs de coup d'Etat ont commencé à circuler au début de l'année 1851, c'est à partir de l'échec de la révision constitutionnelle que la certitude d'une épreuve de force, dont l'initiative partirait de l'Elysée, s'impose dans le grand public. Celle-ci est minutieusement préparée à partir du 20 août 1851 à Saint-Cloud. Les initiés sont peu nombreux et regroupés autour du duc de Morny. On y trouve Victor de Persigny, un fidèle de Louis-Napoléon, Eugène Rouher, Emile Fleury, Pierre Carlier, le préfet de police de Paris et le général de Saint-Arnaud.

Conseillé par Morny, Louis-Napoléon entend redemander à l'Assemblée nationale de rétablir le suffrage universel masculin et d'abroger ainsi la loi électorale de 1850. Léon Faucher, qui refuse de soutenir l'initiative présidentielle, démissionne le 12 octobre, suivi des autres ministres du gouvernement. Un nouveau cabinet est formé le 27 octobre comprenant trois représentants de l'Assemblée et le général de Saint-Arnaud, nommé au ministre de la Guerre. Ce dernier rappelle aux militaires leur devoir "d'obéissance passive", le 1er novembre 1851 par une circulaire qui demande de "veiller au salut de la société". D'autres proches sont placés aux postes clés: le général Magnan est nommé commandant des troupes de Paris; le préfet de la Haute-Garonne, Maupas, est promu préfet de police de Paris en remplacement de Carlier.

Pendant ce temps, la proposition d'abrogation de la loi électorale est déposée à l'Assemblée le 4 novembre 1851. Elle est rejetée le 12 novembre par 355 voix contre 348, soit seulement par 7 voix de majorité.

Alors que des députés demandent la mise en accusation du président de la République, Thiers et ses amis tentent de réactiver un décret de la Constituante, tombé en désuétude, qui donnait au président de l'Assemblée le droit de requérir directement l'armée sans avoir à en référer au ministre de la guerre. Pour Louis-Napoléon, c'est une déclaration de guerre et un plan d'action est immédiatement mis au point pour mettre l'assemblée en état de siège au cas où une telle loi serait adoptée. La proposition est finalement repoussée par 408 voix (la majorité des républicains, les bonapartistes et de nombreux royalistes) contre 338 (la majorité des orléanistes et des légitimistes).

Convaincu de la nécessité d'un coup d'Etat du fait des derniers refus de l'Assemblée, Louis-Napoléon le fixe lui-même pour le 2 décembre, jour anniversaire du sacre de Napoléon Ier en 1804 et de la victoire d'Austerlitz en 1805. L'opération est baptisée Rubicon.

Coup d'Etat du 2 décembre 1851

Le coup d'Etat à Paris

cavalerie dans les rues de Paris le 2 décembre 1851


Dans la nuit du 1er au 2e décembre, les troupes de Saint-Arnaud prennent possession de la capitale, occupent les imprimeries (notamment pour empêcher les journaux républicains de paraître), procèdent aux premières arrestations de 78 personnes, parmi lesquelles figurent 16 représentants du peuple dont Thiers mais aussi les chefs de la Montagne et des militaires comme Changarnier qui auraient pu mener une résistance. Vers 6h30, des proclamations sont placardées sur les murs de Paris. Se fondant sur la crise politique qu'à son sens subit le pays, Louis-Napoléon dénonce l'Assemblée parlementaire et lui oppose la légitimité qu'il a lui seul reçue du pays tout entier lors de l'élection présidentielle de 1848. Dans son "appel au peuple" à destination des Français, il annonce une réforme de la constitution sur le modèle du consulat de son oncle de même que son intention de préserver les droits acquis en 1789 tout en faisant respecter l'ordre dans le pays. Une autre des proclamations placardées est destinée à l'armée qu'il salue comme une "élite de la nation que les régimes ayant succédé à l'Empire ont traitée en vaincue". Ses décrets imposent également la dissolution de l'Assemblée nationale et le rétablissement du suffrage universel masculin.

Le siège de l'Assemblée étant occupé par la troupe, 220 parlementaires, essentiellement du parti de l'Ordre, se réfugient à la mairie du 10e arrondissement. Se fondant sur l'article 68 de la constitution, ils votent à l'unanimité la déchéance de Louis-Napoléon mais ils sont aussitôt arrêtés sans avoir appelé le peuple à se mobiliser. Au soir du 2 décembre, Paris n'a pas bougé alors qu'une soixantaine de députés montagnards et républicains forment un Comité de résistance et en appellent au peuple contre le coup de force. Des étudiants qui manifestent sont matraqués par la police.

Le 3 décembre, une vingtaine de parlementaires républicains, comme Victor Schoelcher ou Victor Hugo, tentent de soulever les quartiers populaires de Paris sans grand succès. Quelque 70 barricades sont finalement érigées dans le faubourg Saint-Antoine et les quartiers du centre. Sur l'une d'elles, le député Alphonse Baudin est tué par des tirs de soldats. Au soir du 3 décembre, le nombre d'insurgés ne dépasse guère 1 000 ou 1 500 hommes, pour la plupart aguerris depuis 1848 aux barricades.

Dans la nuit du 4 décembre, environ 30 000 soldats sont déployés dans les zones tenues par les insurgés parisiens, principalement l'espace compris entre les grands boulevards et la Seine ainsi qu'au jardin du Luxembourg et à la montagne Sainte-Geneviève.

La journée du 4 décembre est marquée par la fusillade des grands boulevards où les soldats de la division Canrobert se sont rassemblés et côtoient une foule où se mêlent curieux et manifestants qui pour certains prennent à partie la troupe en exclamant "Vive la Constitution! Vive l'Assemblée nationale". Profondément "énervés par cette attitude hostile ou goguenarde", les soldats de la division Canrobert, "sans en avoir reçu l'ordre et au prétexte de tirs isolés" s'affolent, ouvrent le feu avant de faire usage d'un canon, perpétrant une effroyable fusillade du boulevard de Bonne-Nouvelle au boulevard des Italiens avant que des maisons ne soient "fouillées à la baïonnette". Le carnage fait entre 100 et 300 morts et des centaines de blessés.

Au soir du 4 décembre, la plupart des insurgés ont été écrasés. Le bilan de ces journées parisiennes est de 300 à 400 personnes tuées, aux 2/3 des ouvriers, auxquels s'ajoutent 26 tués et 184 blessés parmi les soldats. Le nombre de victimes reste néanmoins très éloigné des 5 000 morts des journées de juin 1848. Le Moniteur (ancêtre du Journal officiel) reconnaît plus tard le chiffre de 380 tués, la plupart sur les boulevards.

Dans son ensemble, le monde du travail est resté passif et ne s'est pas mêlé au combat, laissant se dérouler le "règlement de comptes entre le président et l'Assemblée". Pour Marx lui-même, la "dictature de l'Assemblée nationale était imminente", sa majorité comme sa minorité n'ayant d'ailleurs montré que peu de respect de la constitution et ne songeant qu'au coup de force et à l'insurrection. Paris est désormais sous contrôle militaire, en dépit de quelques mouvements sporadiques. Le 11 décembre, Victor Hugo s'exile à Bruxelles.

Les réactions en province

En province, la nouvelle du coup d'Etat se diffuse progressivement. A l'instar de Paris, les grandes villes réagissent faiblement. Des manifestations sont dispersées par l'armée à Marseille, Lille,Bordeaux, Toulouse, Strasbourg ou Dijon. Quelques conseils municipaux, en application de l'article 68 de la constitution, proclament la déchéance de Louis-Napoléon Bonaparte.

Un mouvement de résistance se développe dans les petites villes et les campagnes du sud-est et de la vallée du Rhône ainsi que dans quelques départements du Centre. C'est dans le département des Basses-Alpes qu'a lieu la seule véritable action d'envergure où un "Comité départemental de résistance" administre la préfecture du 7 au 10 décembre 1851, avant que l'armée et les forces ne viennent à bout de ces résistances.

La répression

Trente-deux départements sont mis en état de siège dès le 8 décembre: tout le pouvoir est localement donné aux autorités militaires qui, en quelques jours, maîtrisent rapidement les zones de résistance républicaine. Pendant 15 jours, celles-ci sont réprimées et, ponctuellement, des insurgés sont fusillés sommairement. Selon l'historien Louis Girard, commence alors contre les républicains "une chasse à l'homme, avec son cortège de dénonciations et d'exécutions sommaires. Puis, jusqu'en janvier 1852, ce sont des arrestations massives non seulement dans les départements soulevés, mais sur tout le territoire". Selon Maurice Agulhon, "le caractère massif et inique de la répression vint cependant de l'assimilation qui fut officiellement faite de l'insurrection effectivement accomplie à un complot républicain préparé de longue date". Tous les républicains, même ceux n'ayant pas pris les armes, sont alors assimilés à des insurgés en puissance, des complices ou des inspirateurs à l'insurrection. En conséquence, les forces de l'ordre (armée, gendarmerie et police) raflent, de la mi-décembre à janvier, des milliers de suspects, qui encombrent les prisons. Les partisans de Louis-Napoléon sont aussi décidés à endiguer toute révolution sociale. C'est donc "une répression massivement conservatrice tout imprégnée des rancoeurs du parti de l'Ordre" qui s'abat avant que les bonapartistes de gauche, à la fois progressistes et autoritaires, et certaines républicains, comme Geroges Sand, parviennent à obtenir, auprès de Louis-Napoléon, un adoucissement dans la répression et les sanctions.

Ainsi, dans un premier temps, 26 884 personnes sont arrêtées, essentiellement dans le Sud-Est, le Sud-Ouest et quelques départements du Centre, 15 000 sont condamnées dont 9 530 à la transportation en Algérie et 239 autres au bagne de Cayenne tandis que 66 députés (dont Hugo, Schoelcher, Raspail, Edgar Quinet) sont frappés de proscription par un décret présidentiel. Toutefois, les mesures de répression prononcées par les 82 commissions mixtes inquiètent Louis-Napoléon et lui-même est affectée par le bilan humain d'un succès payé au prix fort.Dans un second temps, Louis-Napoléon délègue en mission extraordinaire deux militaires de haut rang et un conseiller d'Etat, afin de réviser les décisions prises et préparer des mesures de grâce. Si les généraux Espinasse et Canrobert, chargés du Sud-Ouest et du Languedoc, font preuve de peu d'indulgence envers les condamnés avec un millier de grâces accordées, le conseiller d'Etat Quenin Bauchart, chargé du Sud-Est, accordé 3 400 grâces. Sollicité par toutes sortes d'influences, Louis-Napoléon Bonaparte use de son côté largement de son droit de grâce, souvent sur requête de tiers, à l'instar de ce que fit personnellement George Sand auprès du président. Le nombre des transportations en Algérie passe ainsi de 6 151 (chiffres représentant les transportations réellement effectuées) à 3 006 et, en fin de compte, le nombre des républicains remis en liberté passe de 5 857 (libérés en janvier 1852) à 12 632 (au 30 septembre 1853).

Pour le président, il n'est pas dans ses intentions que le nouveau régime prenne une "tonalité autoritaire, antirépublicaine et conservatrice". De fait, le futur Napoléon III reste obsédé par "le souvenir du serment violé, des morts de décembre, des brutalités de la répression" portant "le 2 décembre comme une tunique de Nessus" selon les mots de l'impératrice Eugénie. Politiquement, il tire profit de l'ambiguïté du mouvement de résistance qui, dans plusieurs départements, a revêtu le visage de la "révolte anarchique contre les riches". Il parvient à présenter le coup d'Etat comme une opération préventive de sauvetage de la société et à rassembler autour de sa personne des courants d'opinions jusque-là divergents (Flahaut, Falloux, Montalembert, Gousset, etc).

Les députés réfractaires, qui avaient voté un décret ordonnant la convocation de la haute cour de justice à la mairie du 10e arrondissement avant d'être arrêtés et incarcérés, sont rapidement libérés à l'exception des députés d'extrême-gauche et de quelques libéraux. Environ 70 personnalités de la gauche républicaine et quelques personnalités orléanistes sont condamnées à l'exil, rejoints par de nombreux intellectuels et par des membres de l'enseignement qui refusent de prêter le serment de fidélité au chef de l'Etat, exigé pour les fonctionnaires par le nouveau régime, tandis que la nouvelle loi relative au régime de presse renforce les entraves à la liberté d'expression pour les titres politiques. 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire