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mardi 1 décembre 2015

Les deux lectures de la Constitution

En 1958, la France souffrait de la paralysie de ses institutions. Le pouvoir exécutif était exercé par un gouvernement issu de majorités instables au Parlement. Les changements fréquents de gouvernement au gré des alliances et des ambitions personnelles empêchaient toute politique efficace. Quand il est appelé au pouvoir en mai 1958, le général de Gaulle souhaitait redonner à l'exécutif un pouvoir qu'il n'avait pas les moyens d'exercer dans le régime parlementaire, et qu'il qualifiait péjorativement de "régime des partis". Il voulait donc remédier aux défauts de la IVe République aggravés par la guerre d'Algérie en créant un pouvoir exécutif fort et indépendant.

L'article 5 de la Constitution fait du président le garant des institutions et de la Constitution, "de l'indépendance nationale, de l'intégrité du territoire et du respect des traités". Pour les constituants, le président n'a pas vocation à intervenir dans la gestion quotidienne des affaires. Le chef du gouvernement est, dans les textes, le Premier ministre qui "détermine et conduit la politique de la nation" (article 20). Le chef de l'Etat est un arbitre entre les différents pouvoirs (article 5) et qui, bien qu'ayant un faible pouvoir autonome, a pour principale prérogative celle de demander à une autre autorité d'agir. "Cela ne l'empêche pas de donner les grandes orientations du pays, de demander au gouvernement de les suivre et de les traduire dans des textes si nécessaire". Il assure d'une manière souple la séparation des pouvoirs. Il incarne la France au niveau international et est un recours en cas de situation grave. dès 1959, De Gaulle fait la diplomatie et de la défense, le domaine réservé du président de la République.

Cette vision cependant, n'a jamais été mise en pratique, car Charles de Gaulle, s'est servi de son poids historique pour s'accaparer l'essentiel des prérogatives de ses Premiers ministres successifs, Michel Debré, Georges Pompidou et Maurice Couve de Murville.

A partir de 1962 et jusqu'en 1986 (date de la première cohabitation), la pratique "normale" des institutions s'est établie. 1962 est une date clé puisqu'elle voit la conjonction de l'adoption par référendum de l'élection du président au suffrage universel direct, responsabilité devant le peuple qui légitime ses pouvoirs, et du fait majoritaire parlementaire favorable au président (création de l'UNR, l'Union pour la nouvelle République). La lecture de la Constitution, qui établit un régime parlementaire, se fait dans un sens favorable au président. De fait, ce dernier s'inscrit comme le véritable chef de l'exécutif car il utilise pleinement et même au-delà, les pouvoirs que lui octroie la Constitution. Avec le gouvernement s'établit donc un rapport étroit de collaboration, voire de subordination. La légitimité démocratique donnée par l'élection au suffrage universel l'emporte ainsi sur les attributions de la Constitution. L'alignement à partir de 2002 de la durée du mandat présidentiel sur celui des députés, la concomitance des élections avec en premier, l'élection présidentielle, puis au bout d'un mois, les législatives accentuent encore ce lien de subordination.

Cette situation donne au président français une position particulière et mal cernée par les théories classiques du droit constitutionnel. On associe en général droit de dissolution et responsabilité devant le Parlement: le chef de gouvernement britannique possède les deux (régime parlementaire), le président américain aucun (régime présidentiel). Dans le système français, c'est le président qui dispose du droit de dissolution, mais c'est le Premier ministre qui est responsable devant le Parlement.Le général de Gaulle, par le biais de son élection au suffrage universel direct appliquée pour la première fois en 1965 et de référendums réguliers, a mis en place une responsabilité de fait du président devant le peuple français: c'est sur un référendum perdu qu'il a quitté ses fonctions en 1696. Jacques Chirac, par contre a préféré achever son mandat après l'échec du référendum sur le Traité constitutionnel européen en 2005 alors que ce vote était décisif pour lui et pour le pays. En fait, après De Gaulle, les présidents se sont contentés d'une responsabilité devant le peuple lors de la réélection. Maurice Duverger qualifie la France sous la Cinquième République de régime semi-présidentiel, bien que cette catégorisation soit souvent contestée. L'appellation exacte reste "régime parlementaire présidentialisé".

Pendant les périodes de cohabitation, au contraire (1986-1998, 1993-1995, 1997-2002), la lecture de la Constitution devient plus littérale et revient donc à un régime parlementaire, tel que prévu dans le texte et bien qu'il ne s'agisse toujours pas de ce qui avait été souhaité originellement. En effet, le chef du gouvernement exerce alors pleinement toutes les prérogatives que lui donne la Constitution.Le président, cependant, ne s'efface pas et conserve un certain nombre de prérogatives, notamment en matière de politique étrangère et de défense. L'exécutif devient alors bicéphale.

Pour exemple, on peut citer l'article 8, alinéa 1 où le président nomme et accepte la démission du Premier ministre. En pratique, il est même arrivé que lors de sa nomination, le président fasse signer au chef de gouvernement une lettre de démission non datée, lui permettant ainsi de le révoquer quand bon lui semblait. En réalité, à l'exception de la "démission volontaire" en 1976 de Jacques Chirac lorsqu'il était Premier ministre de Valéry Giscard d'Estaing, tous les chefs de gouvernement ont été révoqués. En période de cohabitation, cependant, ce pouvoir, que les présidents successifs ont accaparé, n'existe plus puisque le Premier ministre est alors soutenu par la majorité parlementaire.

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