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mercredi 2 décembre 2015

Napoléon III (1ère partie)

Le plébiscite


Conformément à sa proclamation au peuple, Louis-Napoléon rétablit le suffrage universel et convoque les électeurs (hommes) les 20-21 décembre, "10 jours seulement après l'élimination des derniers nids de résistance", afin de se prononcer par plébiscite sur les réformes du "prince-président". Face à la légalité constitutionnelle dont se prévalaient les défenseurs de la République, les bonapartistes opposent le suffrage universel, placé au-dessus de la Constitution, et la confiance directe manifestée par le peuple comme seule source de légitimité. La propagande bonapartiste ne manque pas également d'agiter la hantise du "péril rouge"et le thème de "sauveur de la Nation", appuyée par une administration zélée et une bonne partie du clergé catholique.

La consultation se déroule dans la terreur sur la partie du territoire encore en état de siège. Seuls les journaux favorables au plébiscite sont autorisés à paraître. Le président jouit cependant d'une réelle popularité auprès des paysans et la nature de la consultation ne laisse guère de choix entre l'état de fait accompli et le néant. Du coup, les civils sont autorisés à voter à bulletin Oui sont imprimés, les Non devant être écrits à la main avant que le bulletin ne soit donné au président du bureau de vote pour qu'il le glisse lui-même dans l'urne.

A la suite du ralliement du clergé et de bon nombre des parlementaires de la majorité qui ont été arrêtés le 2 décembre et ont voté sa déchéance, le corps électoral se prononce favorablement sur la révision par 7 439 216 "oui" contre 640 737 "non" (résultats provisoires du 31 décembre 1851) ou 7 481 231 "oui" contre 647 292 "non", pour les résultats définitifs publiés par le décret du 14 janvier 1852 (pour environ 10 millions d'inscrits et 8 165 630 votants dont 37 107 nuls). Si les principaux foyers d'opposition se trouvent dans les grandes villes, le seul canton rural à voter en majorité pour le "non" est celui de Vernoux, dans l'Ardèche.

Selon l'historien Jean-Yves Mollier, la décapitation et la terrorisation du camp démocrate furent immédiates. Il fallait tuer pour être compris, avait prévenu Morny, et l'on fit couler suffisamment de sang pour impressionner l'opinion". En conséquence, le nombre des suffrages "non" est "remarquable tant il fallut de courage physique et mental, ce jour-là, pour oser exprimer ainsi sa réprobation du crime". Pour le président, "plus de sept millions de suffrages" venaient de "l'absoudre en justifiant un acte qui n'avait d'autre but que d'épargner à la patrie et à l'Europe peut-être des années de trouble et de malheur". Georges Sand, d'opinion républicaine, constate qu'"il y eut terreur et calomnie avec excès,mais le peuple eût voté sans cela comme il a voté. En 1852, ce 1852 rêvé par les républicains comme le terme de leurs désirs et le signal d'une révolution terrible, la déception eût bien été autrement épouvantable.Le peuple eût résisté à la loi du suffrage restreint et voté envers et contre tout, mais pour qui? Pour Napoléon". Le philosophe et historien Hippolyte Taine témoigne de l'impopularité de l'Assemblée dissoute et du soutien des campagnes à Louis-Napoléon, estimant aussi que "Bonaparte n'est pas pire que les autres. L'Assemblée haïssait la République plus que lui et, si elle avait pu, elle aurait violé son serment pour mettre au trône Henri V, ou les Orléans et au pouvoir M.Changarnier".

Finalement, comme le note l'historien Pierre Milza, une majorité des Français n'a pas désapprouvé Louis-Napoléon et en est même satisfaite comme le reconnaît aussi amèrement François Guizot: "Le pays, il serait puéril de le dissimuler, le gros du pays s'est félicité du coup d'Etat du 2 décembre. Il s'est senti délivré dans le présent de l'impuissance à laquelle le président et l'assemblée se réduisaient mutuellement. Il s'est cru délivré pour 1852 de tous les périls et de tous les maux qu'il attendait à jour fixe. Il a baissé la tête, un peu honteux du coup; mais en baissant la tête, il a respiré, content au fond, quoique humilié". Il ajoute cependant que le peuple "a espéré du repos et un gouvernement" mais qu'il ne les a pas.

Louis-Napoléon prend alors la responsabilité d'être le fossoyeur de la Deuxième République ce dont l'Histoire républicaine lui tient longtemps rigueur, oubliant souvent que l'assemblée a songé à plusieurs reprises à faire de même, en recourant à l'armée pour se débarrasser du président et pour rétablir la monarchie. Le coup d'Etat du "2 décembre a donné naissance à une légende noire" fondée en partie sur la version donnée par Victor Hugo dans son livre Histoire d'un crime que l'historien Louis Girard caractérise cependant comme "peu crédible dans l'ensemble" mais qui apparaît, selon l'historien Pierre Milza, comme "le récit le plus circonstancié" à défaut d'être le plus exact du coup d'Etat.

La marche vers le Second Empire

L'empereur Napoléon III

La constitution française est donc modifiée.Le prince-président avait promis le "retour à la légalité républicaine" sans en donner de définition précise. La république qu'il conçoit a pour but d'oeuvrer au bien commun et implique qu'elle soit dirigée d'une main ferme par un chef capable de trancher entre les intérêts divergents et d'imposer l'autorité de l'Etat à tous. Il avait ainsi exposé sa conception de la démocratie césarienne quelques années plus tôt dans Des Idées napoléoniennes où il écrivait que "dans un gouvernement dont la base est démocratique, le chef seul a la puissance gouvernementale, la force morale ne dérive que de lui, tout aussi remonte directement jusqu'à lui, soit haine, soit amour". Les éléments chefs du bonapartisme, alliant autorité et souveraineté du peuple, sont ainsi clairement exposés: le régime bonapartiste serait donc autoritaire tout en recherchant l'approbation des masses.

Une commission de 80 membres est chargée de préparer un texte constitutionnel. Celui-ci est principalement l'oeuvre de Persigny, de Charles de Flahaut et des juristes Jacques-André Mesnard, Eugène Rouher et Raymond Troplong. Fondée au terme de son premier article sur les grands principes proclamés en 1789, la république consulaire, qui est ainsi instituée par la nouvelle constitution et promulguée le 14 janvier 1852, confie le pouvoir exécutif à un président élu pour dix ans (article 2) seul responsable devant le peuple français auquel il a toujours droit de faire appel (article 5). Le nouveau régime politique est donc plébiscitaire et non parlementaire. Le chef de l'Etat a seul l'initiative des lois qu'il sanctionne et promulgue alors que les ministres ne sont responsables de leurs actes que devant lui. Le président nomme par ailleurs à tous les emplois civils et militaires et la justice se rend en son nom. Il est aussi seul apte à déclarer la guerre et à conclure les traités de paix ou de commerce. La garde nationale est réorganisée en une armée de parade. Un serment de fidélité à sa personne ainsi qu'à la Constitution est institué pour les fonctionnaires et les élus.

De janvier jusqu'au 29 mars 1852, Louis-Napoléon Bonaparte est le seul des trois moyens de gouvernements alors en place. Il légifère durant cette période par des "décrets dictatoriaux" que l'on appellerait aujourd'hui des décrets-lois. Celui du 23 janvier 1852, reprenant une proposition de loi de Jules Favre déposée en 1848 et qui voulait déclarer acquis au domaine de l'Etat les biens de l'ancien roi des Français, interdit à la famille d'Orléans de posséder des biens en France et annule les dotations financières attribuées autrefois à ses enfants par Louis-Philippe Ier, le produit des séquestres étant réparti entre les sociétés de secours mutuel, les logements ouvriers, la caisse des desservants ecclésiastiques et la Légion d'honneur. Pour les royalistes orléanistes et les bourgeois nostalgiques de la Monarchie de Juillet, ces dispositions sont démagogiques et équivalentes à une spoliation. La partie bourgeoise de l'électorat y voit notamment un coup porté au droit de propriété. Cette affaire provoque d'ailleurs des tensions au sein même du camp bonapartiste. La princesse Mathilde, qui tente d'obtenir la grâce des princes d'Orléans, est désavouée alors que quatre membres importants du gouvernement (Rouher, Fould, Magne et Morny) démissionnent pour marquer leur désaccord. Commentant cette affaire, l'écrivain Alexandre Dumas, lui-même poursuivi par des créanciers après la faillite de son théâtre et qui doit se réfugier à Bruxelles, s'exclame "l'oncle prenait des capitales, le neveu veut prendre nos capitaux".

Portrait officiel de Louis-Napoléon Bonaparte




100 francs or Napoléon III



Timbre Louis-Napoléon, République française de 1852


D'autres décrets réorganisent la Garde nationale alors que "les associations ouvrières, en fait des coopératives de production, sont presque toutes dissoutes". En revanche, les sociétés de secours mutuelles, "si elles acceptent le patronage des membres honoraires qui les subventionnent, du maire et du curé", sont favorisées. Il s'agit, dans l'esprit de Louis-Napoléon, de promouvoir "le bien-être du peuple mais ne pas tolérer de sociétés de résistances sous couvert d'oeuvres sociales". En même temps, c'est par un décret du prince-président que les congrégations de femmes sont autorisées. Le décret du 17 février sur la presse reprend en les aggravant les conditions antérieures exigées pour la diffusion, exige pour toute création une autorisation préalable de l'administration et inaugure la procédure des avertissements pour les journaux politiques (Le journal des débats, Le Siècle). Le régime électoral est précisé par un décret dictatorial du 2 février qui fait d'un électeur tout homme de 21 ans comptant 6 mois de domicile. Le scrutin d'arrondissement à deux tours est adopté de préférence à celui du scrutin de liste en vigueur sous la deuxième république. Enfin, parmi les dispositions les plus innovatrices et remarquées depuis janvier 1852 figure celle qui établit les bureaux de vote dans chaque commune, et non plus au chef-lieu de canton, comme c'était le cas depuis 1848. L'historien Maurice Agulhon note que cette innovation, "en facilitant et familiarisant la pratique du vote, ne pouvait que contribuer à l'éducation civique de l'électeur, ce qui se produira en effet peu à peu au long du Second Empire".

Parallèlement et concrètement, le statut du président évolue pour devenir celui d'un monarque: il signe Louis-Napoléon, se  laisse appeler son altesse impériale, ses amis et partisans sont récompensés pour leur fidélité, une cour s'installe, les aigles impériales sont rétablies sur les drapeaux, le code civil est rebaptisé code Napoléon, le 15 août célèbre la saint-Napoléon, premier modèle réussi en France de fête nationale alors que l'effigie du prince-président fait son apparition sur les pièces de monnaie et les timbres-poste.
   

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