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dimanche 2 octobre 2016

Histoire du col de Bussang de la région Lorraine: Routes commerciales médiévales

Les routes commerciales médiévales de la partie méridionale du massif vosgien, c'est-à-dire celles qui empruntaient la haute vallée de la Moselle, étaient celles qui quittaient la Lorraine:

.au col de Bussang vers l'Alsace,
.au col des Croix vers la Franche-Comté,
.au col du Mont de Fourche vers la Franche-Comté.


La route du col de Taye suit l'ancienne voie romaine Metz-Bâle (Divodurum-Augusta Basillensis) et perpétue la tradition de vallée de transit par le col de Bussang.

Col de Taye et tonnage de l'Estaye

Les possessions du chapitre de Remiremont acquises au haut Moyen Âge, au spirituel comme au temporel, étaient très étendues dans la partie méridionale du massif vosgien,elles englobaient les vallées de la Vologne, de la Moselotte et de la haute Moselle jusqu'aux crêtes à l'est et au sud. Les revenus des chanoinesses provenaient entre autres des droits de péages, des droits d'exploitation dudit haut pâturage et des tons lieux. En tant qu'avoués du chapitre, les ducs de Lorraine ont progressivement mis la main sur les terres périphériques des dames nobles en bâtissant des châteaux-forts comme à Bruyères ou à Arches lesquels deviendront les sièges des deux prévôtés montagnardes du duché lorrain. Ce fut le duc Ferry III qui usurpa le ton lieu à Bruyères en 1255 et à l'Etaye au pertuis de Bussang en 1264. Cette main mise sur le tonnage de l'Estaye (Bussang) comme sur le thonnieu de Bruyères ne répond pas au hasard, mais répond à une stratégie territoriale des ducs: il s'agissait des voies de passage principales au Moyen Âge pour passer de Lorraine en Alsace:

 1.la vallée de la Moselle:

.Epinal,
.Remiremont,
.Ban de Longchamp,
.Ban de Ramonchamp,
.Col de Bussang,

2.la vallée de la Vologne, son affluent le Neuné, la vallée de la Meurthe:
.Lunéville,
.Bruyères,
.Corcieux,
.Col du Plafond 620m,
.Fraize,
.Col du Bonhomme 978m

Une autre route d'échange commerciale et économique secondaire dans la vallée de la Haute-Moselle est celle qui mène au col des Croix (679m vers la Franche-Comté) où les voués pour la rive gauche de la Moselle, les seigneurs de Faucogney, ont établi un droit de péage et bâti le château Lambert, actuelle commune de Haut-du-Therm-Château-Lambert. Comme pour Bussang, la partie lorraine appartenait au ban très étendu de Ramonchamp où se situaient les mines du Thillot. Les deux bans menant aux deux cols, respectivement de Bussang et des Croix sont nommés dans les archives et dans le langage populaire côté lorrain et comtois les Vaulx.

A la jonction de cette voie arrivant du sud et de celle provenant du col de Bussang à l'est, donc le pertuis de l'Estaye, les ducs de Lorraine et les chanoinesses de Remiremont possédaient un autre péage qui fut la station commerciale la plus importante pour les échanges avec l'Alsace, on le nommait le pertuis de L'Etraye (aujourd'hui Letraye). Les revenus du péage de Taye justifiaient l'établissement d'une charge à caractère anoblissant. Avant le déclin de la route commerciale, en pleine guerre de Trente Ans, le duc de Lorraine confie par exemple à un Jacques Mourel dit Valroff la charge de contrôler le péage. Il arriva à Bussang vers 1638 pour y prendre à ferme le péage de Taye installé depuis 1255 à la frontière ducale de Lorraine. Suivant les sources, Jacques Valroff fut page du duc de Lorraine, chargé au péage de Taye et châtelain de Deneuve. Jusqu'à l'activité minière qui démarre en 1560 avec l'arrivée de mineurs, forestiers et charbonniers allemands, danois et suédois, Bussang est au fond un écart, ou plus encore, une simple succession d'auberges, de tavernes en contrebas de la côte qu'il fallait pouvoir gravir pour traverser les Vosges. C'était un point d'arrêt où l'on prenait des chevaux de renfort pour se lancer dans le col. Le thermalisme n'existe pas encore et l'exploitation forestière pour subvenir à la demande industrielle va s'accroître progressivement jusqu'au XVIIIe siècle.

Les commerçants-transporteurs ne voyageaient pas souvent seuls, en général, ils s'organisaient et se déplaçaient en "convois" de marchands, avec un chariot ou à pied avec une hotte. A cela, il faut ajouter les pélerins, les voyageurs et les travailleurs itinérants qui allaient de chantier en chantier. Parfois, ils peuvent se rassembler en "nation", donc en communauté de langue ou de culture par affinité. Les marchands "allemands" sont des commerçants alsaciens et autres germanophones. Ils passent le col de Bussang, le pertuis vers le monde francophone, au moins jusqu'à Metz, la plaque tournante des déplacements en Lorraine vu sa position à la croisée des chemins nord-sud et ouest-est. Au Moyen Âge, on utilisait encore les chars à transport hérités de la période gallo-romaine: le chariot à deux roues (plaustrum minus) ou à quatre roues (plaustrum majus), tirés par des boeufs ou des chevaux. La flexibilité et la mobilité de ces chariots étaient limitées, il fallait souvent un cheval d'appoint pour monter les "côtes", noms qu'on utilisait autrefois plus fréquemment que col.

Le soutien logistique par les locaux perdurera jusqu'au XVIIIe siècle puisque dans les archives de la ville on évoque toujours les aubergistes et cabaretiers dont "certains employaient des chevaux uniquement à faire la conduite des voitures jusqu'au col de Bussang". Les rouliers faisaient aussi les commissions des particuliers et des communautés. Il y avait une voiture qu'on appelait "l'accéléré" qui gérait également les services de la poste. En outre, les aubergistes devaient posséder des locaux très spacieux pour loger hommes et montures, remiser les voitures, abriter les chevaux et les boeufs. Les produits transportés sur cette voie mosellane sont peu ou prou les mêmes  Champagne en direction de Langres et de la Suisse ou encore le long du Neckar. Néanmoins, on relève des spécificités en fonction des périodes économiques ou des activités artisanales en vogue à tel ou tel moment de l'histoire lorraine. Parmi les produits phares, on compte:

.le vin pour lequel Metz et Cologne assurait l'essentiel du trafic,

.le verre: le verre plat, blanc ou coloré "façon Lorraine", et après le séjour d'un verrier local à Murano pendant 13 ans, le verre cristallin ou "verre de Venise jusqu'à la moitié du XVIe siècle. Tous furent produits dans les verreries de la Vôge autour de Darney et Fontenoy-le-Château. On connaît l'ascension professionnelle de Pierre Thierry à Fontenoy qui devint commissionnaire de grandes firmes internationales du secteur parce qu'il avait la responsabilité de la conduicte d'Italie. Son réseau commercial s'étend de l'Angleterre à l'Italie du Nord en passant par la Flandre,

.la laine ou la draperie: la Flandre resta longtemps le centre de la branche textile en relation constante avec l'Italie qui servirait de transition avec l'orient. En revanche, la Moselle servait de relais avec le Rhin pour ceux qui ne circulaient pas par la voie principale légèrement plus au sud que le massif vosgien, donc par la Porte de Bourgogne,

.le bois pour les fonderies et manufactures royales de chaque côté de la ligne de crête (Masevaux, Oberbruck, Saint-Maurice-sur-Moselle...),

.le sel: la route du sel qui passait par le col de Bussang en direction de Mulhouse, puis Bâle, était la route de la Lorraine à la Suisse. Le sel lorrain était vendu également dans la Haute-Alsace (qui appartenait essentiellement à l'Autriche antérieure), le sud-ouest de l'actuelle Allemagne, la région frontalière suisse avec l'évêché de Bâle. Le "roulage" du sel par le col de Bussang continua jusqu'à la Révolution française. C'est probablement le dernier produit régulièrement transporté par le col avant l'industrialisation et l'arrivée du textile dans la vallée. On lit dans les archives que la "grande traite des sels" allait de Thann à Delle à la frontière avec la Suisse. La route du col de Bussang y est décrit comme tellement étroite dans la montée (nommée "die Steige" par les Alsaciens) que le double sens n'était pas possible pour deux chariots. Ceux qui descendaient devaient utiliser les emplacements spécialement aménagés à cet effet pour laisser passer les chariots qui montaient. 

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