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mercredi 2 décembre 2015

Adolphe Thiers

Portrait d'Adolphe Thiers.Photographie d'Adolphe Thiers


Adolphe Thiers, né le 15 avril 1797 à Marseille et décédé le 3 septembre 1877 à Saint-Germain-en-Laye, est un avocat, journaliste, historien et homme d'Etat français. Il est le 2e président de la République française du 31 août 1871 au 24 mai 1873.

Il symbolise l'évolution des classes dirigeantes françaises, à la recherche d'un nouvel ordre institutionnel stable après l'effondrement de la monarchie absolue en 1789, par son rôle majeur dans la mise en place des régimes politiques qui ont suivi l'échec de la Restauration en 1830.

Ambitieux provincial, devenu à Paris journaliste libéral et historien de la Révolution, il contribue aux Trois Glorieuses et la mise en place de la monarchie de Juillet dont il est deux fois président du Conseil. Orléaniste, partisan libéral d'une monarchie constitutionnelle dans laquelle "le roi règne, mais ne gouverne pas", il s'éloigne du roi sur la politique étrangère (crise de 1840) et critique l'intransigeance de Guizot qui provoque la révolution de 1848. Il se rallie à la République pour l'orienter vers une politique d'ordre préparant un retour à la monarchie constitutionnelle. Opposé au coup d'Etat du 2 décembre 1851, il ne se rallie jamais à Napoléon III, auquel il demande en 1864 les "libertés nécessaires".

En février 1871, après la chute du Second Empire lors de la guerre contre la Prusse, il devient chef du pouvoir exécutif. En mai de la même année, son gouvernement ordonne l'écrasement de la Commune de Paris. Le 31 août 1871, il devient le premier président de la Troisième République.

Biographie

Les débuts

Origines

Marie-Louis-Joseph-Adolphe Thiers est l'un des enfants de Pierre Thiers (1759-1843), par sa seconde épouse Marie-Madeleine Amic (1774-1852).

Branche paternelle

Les armes de la famille Thiers sont composées "d'azur à deux croissants d'or en chef et une étoile de même en pointe, au chef d'or chargé d'une fleur de gueules et entouré de deux étoiles d'azur". La famille est issue d'un milieu bourgeois.

Son père, Pierre-Louis Thiers, est né à Marseille le 9 septembre 1759, rue Mazade (aujourd'hui rue Montgrand). Il jouit auprès des historiens d'une très mauvaise image, certains auteurs n'hésitant pas à le qualifier de "chevalier d'industrie, escroc, père déplorable qui ne s'est souvenu de son fils que lorsqu'il pouvait en tirer de l'argent". Selon Georges Valance, il mériterait à lui seul une biographie, ou plutôt un roman picaresque.

Issu d'une famille de neuf enfants dont trois survivront (deux filles et lui-même), Pierre-Louis était dissipé dans les établissements qu'il fréquentait, tant dans le député collège des bénédictins de Sorèze que dans l'école de commerce qu'il fréquenta ensuite. Dépêché en Morée auprès de son oncle, il dilapide à Malte tout l'argent que son père lui a confié. Revenu en France, il est envoyé pour un an dans la maison de correction de Saint-Pierre-de-Canons à Aurons. Il est par la suite embarqué vers la Martinique comme subrécargue, mais les Anglais interceptent le navire et capturent le jeune homme. Malade, celui-ci est secouru par le marseillais Jean-Baptiste Allemand; ce dernier parvient à le renvoyer en France et écrit au père du jeune homme: "J'ai compris que monsieur votre fils aimait le faste, la dépense, les plaisirs et peut-être le libertinage. Car il me paraît qu'il recherche beaucoup la compagnie des femmes". Pierre-Louis revient donc en France en 1785, où il est embauché à la mairie de Marseille; chargé de la perception des loyers, il pioche dans la caisse et son père doit combler le déficit s'élevant à 7 000 francs, soit deux ans de salaire. Il se marie avec Marie-Claudine Fougasse, marseillaise de 33 ans. Pendant la Révolution, Thiers est associé au chevalier de Fonvielle, avec qui il est arrêté par les révolutionnaires. Il parvient par la suite à obtenir un poste d'accusateur public près le tribunal criminel militaire de Marseille; il réussira à faire libérer Lucien Bonaparte, qui l'entourera de son amitié et de sa protection: Thiers devient alors fournisseur de l'armée d'Italie, activité lucrative qui lui rapportera 400 000 francs selon le duc de Castries.

Marie-Claudine Fougasse décédée le 3 mars 1797 à 45 ans, Adolphe naît quelques semaines plus tard, le 15 avril, de Pierre-Louis Thiers et Marie-Madeleine Amic. Les parents se marient le 13 mai suivant. Dès lors, le père délaisse sa femme et son fils et disparaît pour mener une vie opulente à Paris. Sa femme parvient à obtenir une pension alimentaire de 400 francs annuels, qui sera versée par la mère de Pierre-Louis. D'Italie, le père a ramené deux italiennes: Thérèse Cavalieri avec qui il a deux enfants, et la soeur de cette dernière, Louis Cavalieri, qui lui donne une fille. Il acquiert deux domaines dans la Manche provenant de l'Abbaye de Lessay. Rapidement ruiné, Pierre-Louis est nommé par les Bonaparte receveur des contributions directes à Beaucaire mais cause un déficit de 44 000 francs dans la caisse au bout de dix-huit mois. Arrêté et emprisonné, il est libéré par Lucien Bonaparte; mais il est de nouveau arrêté à Marseille le 29 juillet 1806 et transféré à Nîmes le 16 août suivant. Acquitté par la cour criminelle de Nîmes, il reste incarcéré années pour purger sa dette. En mars 1817, il veut fonder un journal prônant la paix entre catholiques et protestants, sans succès il finit par lancer une feuille d'annonces religieuses en 1824 pour concurrencer l'Ami de la religion. Il ne réapparaîtra dans la vie de son fils qu'en 1825, au moment où ce dernier commencera à faire parler de lui dans le journalisme parisien; mais ces retrouvailles ne seront qu'un prétexte pour quémander de l'argent.

De cette paternité décevante, Adolphe Thiers ne parlera qu'avec la plus grande tristesse: cet homme dont je porte le nom, dont je suis le fils, mais qui ne fut jamais mon père et que je ne regarderai jamais comme tél".

Pierre Guiral résume ainsi la fratrie d'Adolphe Thiers: "En vérité, peu d'hommes politiques de l'envergure de Thiers ont eu famille plus compromettante et ont traîné aussi lourd boulet."

Louis-Charles Thiers, le grand-père paternel d'Adolphe Thiers, était depuis 1734, avocat à la cour du Parlement d'Aix, puis nommé archivaire-secrétaire (secrétaire-général) de la ville de Marseille par brevet royal du 16 septembre 1770. Il est réputé pour être un homme compétent, travailleur et honorable. Parallèlement à son travail, il supervise un aller-retour commercial à la Martinique en tant qu'armateur. Il est également à la tête d'un riche patrimoine immobilier à Marseille et à Château-Gombert (alors commune à part entière). Lorsque sonne l'heure de la Révolution, il perd son emploi en 1790 puis sa retraite est supprimée; il se voit inscrit sur la liste des émigrés avec séquestration (puisque parti vivre chez sa fille à Menton), se retrouve emprisonné jusqu'à la fin de la Terreur puis décède quasi-ruiné à Menton en novembre 1795.

L'arrière-grand-père d'Adolphe Thiers était qualifié de "bourgeois" au début du XVIIIe siècle et son arrière-arrière-père était un marchand d'Aix.

Branche maternelle

La mère d'Adolphe Thiers, Marie-Madeleine Amic, est née à Bouc (aujourd'hui Bouc-Bel-Air) le 6 juillet 1774, de Claude Amic et Marie Lhomaca.

Claude Amic dirigea un comptoir pour de riches négociants marseillais à Constantinople, les Seymandi.

Marie Lomaka est née à Constantinople au sein d'une famille catholique, son père était antiquaire, "fournisseur en bijouterie des dames du harem de sa Majesté le Sultan". La demi-soeur de Marie, Elisabeth, avait épousé Louis de Chénier, négociant puis diplomate sous Louis XVI, et père des deux poètes André Chénier, mort guillotiné en 1793 pendant la Révolution, et Marie-Joseph Chénier. Ils descendaient de Antoine Santi-Lhomaka (1705-1793), lui-même issu, selon une tradition familiale, des Lusignan.

Naissance

Il naît le 26 germinal an V (15 avril 1797) dans la maison de sa mère sise 15 rue des Petits-Pères à Marseille, aujourd'hui la rue Adolphe-Thiers. Le bébé naît coiffé, ce qui à l'époque est considéré comme un signe de chance. Il apparaît si petit et si fragile que son cousin Gastaldy racontera "qu'il eût pu tenir dans un sabot comme le célèbre nain de Stanislas de Lorraine qui fut porté à l'église dans un élégant sabot pour y recevoir le baptême".

L'acte de naissance est ainsi rédigé: "L'an cinq de la République française, une et indivisible, le 29 germinal, à cinq heures, par devant tous, officier public de la municipalité du sus dit canton de Marseille, et dans le bureau de l'état-civil, est comparu le citoyen Marie-Siméon Rostan, officier de santé et accoucheur, lequel nous a présenté un garçon dont il nous dit avoir fait l'accouchement, qu'il nous a déclaré être né le 26 du présent mois à 2h un décime de la citoyenne Marie-Madeleine Amic et des oeuvres du citoyen Pierre-Louis-Marie Thiers, propriétaire, actuellement absent, et dans la maison d'habitation de l'accouchée sise rue des Petits-Pères sous le numéro 15, île 5, auquel garçon il a été donné les prénoms de Marie-Joseph-Louis-Adolphe en présence du citoyen Pierre Poussel, propriétaire, rue des Petits-Pères et de Jeanne Imbert, coiffeuse demeurant même rue, témoins majeurs desquels le second a déclaré ne savoir écrire."

L'enfant est légitimé quelques jours après sa naissance, le 13 mai, par le mariage de ses parents, l'acte de mariage mentionne: "Les époux nous ont déclaré qu'il est issu de leur union un garçon que ces dits époux reconnaissent comme leur fils légitime et veulent légitimer."

Le baptême est célébré clandestinement par un prêtre réfractaire. Devenu président de la République, Thiers racontera: "J'ai reçu le sacrement du baptême dans une cave. Un digne ecclésiastique voulut bien prêter son ministère à cette cérémonie souterraine. C'est qu'à l'époque de ma naissance, l'Eglise n'avait pas encore recouvré le libre exercice de ses pratiques, de ses cérémonies; les prêtres étaient encore, sinon l'objet de persécutions mais de tracasseries; c'est pour cela que ma mère, qui avait des principes très religieux, avait voulu me faire baptiser dans un lieu ignoré, dans une cave; Croyez donc bien que je suis bien et dûment baptisé et bon chrétien".

Jeunesse

Lycéen à Marseille

Entrée du lycée de Marseille, aujourd'hui Lycée Thiers

Le père d'Adolphe ayant délaissé sa famille une fois le mariage prononcé, l'enfant sera élevé par des femmes. C'est en effet avec sa mère, mais surtout à l'ombre de sa grand-mère maternelle, Marie Lomaka, qu'il grandira. Elle complétera son éducation, comprendra ses dons et l'aidera à s'épanouir financièrement. Son petit-fils gardera toujours une affectation très vive pour elle.

Le jeune Thiers commence l'école dans une pension privée jusqu'en 1808, date à laquelle il intègre le lycée de Marseille (aujourd'hui lycée Thiers); il y restera jusqu'en 1815. Malgré des conditions de vie draconiennes, Thiers s'y épanouit et devient un très bon élève, décrochant à partir des humanités tous les premiers prix de sa classe. Son professeur de rhétorique confie à propos de son élève: "Quelle que soit la carrière dans laquelle il se propose d'entrer, il ne peut manquer de la parcourir avec le plus grand succès". De son côté, le proviseur M. Dubreuil conseille à sa mère de l'encourager dans la carrière du barreau.

Alors que sa mère et sa tante sont, à l'instar de la majorité des Marseillais, royalistes et pieuses, Thiers s'émancipe de ces opinions pour lui préférer la gloire napoléonienne: "Thiers faisait partie d'un groupe d'écoliers qui avaient pris un abonnement au Journal de l'Empire et qui faisaient acheter tous les bulletins de la Grande Armée.Il était très avide de ces lectures qu'il mettait bien au-dessus de ses devoirs". Son départ du lycée en 1815 coïncide avec la Restauration, régime qu'il condamnera avec fermeté: "Jamais, il n'a pu sortir de ma tête que le gouvernement de la Restauration était le gouvernement de l'étranger", dira-t-il en constatant l'occupation de la ville de Marseille par des régiments anglais et autrichiens. Il restera également marqué par la Terreur blanche de 1815 et le massacre des Mamelouks.

Etudiant en droit et avocat à Aix-en-Provence

Suivant les conseils de son proviseur, Thiers part faire ses études de droit à Aix-en-Provence. Seul, il s'installe d'abord chez un menuisier rue des Pénitents-Noirs, puis rue Plateforme et enfin rue Adanson, chez un maçon, en 1817. Sa mère et sa grand-mère le rejoignent en 1818 rue Silvacane, où ils vivent ensemble. Le journaliste Louis Méry décrit en ces termes le cocon familial d'alors: "[Thiers] remerciait souvent le ciel de ce que, l'ayant fait naître à Marseille, il l'avait conduit à Aix. Sa mère s'y était établie dans un petit jardin du faubourg, lieu favorable aux calmes études. Un berceau en charmilles y conduisait et les arbres fruitiers y étaient rapprochés au point de former une agréable voûte de verdure. La maison s'élevait au fond, simple et de jolie apparence, n'ayant qu'un étage surmonté d'une treille qui s'arrondissait sur la terrasse. Plus d'une fois, sans doute, le ministre des Affaires étrangères, le président du Conseil dans son magnifique hôtel du boulevard des Capucines, a dû regretter cette maison de jeunesse modeste et retirée qu'enveloppait une verdoyante fraîcheur".

Parallèlement à ses étude de droit, Thiers fréquente assidûment la Bibliothèque Méjanes où il dévore les oeuvres de nombreux auteurs tels Rousseau, Montesquieu, Vauvenargues, son cousin André Chénier, Fénelon, Bernardin de Saint-Pierre, Virgile et Homère notamment. Il se passionne en outre pour la philosophie, nourrissant le projet d'écrire des ouvrages de métaphysique: "Je veux faire ce que l'on appelait autrefois de la métaphysique, écrit-il à Teulon en 1820. Je tâcherai de rendre cette métaphysique vivante, comme elle l'est dans l'Emile. Je sèmerai plus d'un épisode dès que je pourrai quitter la forme de l'analyse. Ce seront des contes philosophiques courts, significatifs, autant que je pourrai et sur tous les tons".

François-Auguste Mignet (ici en 1865), ami intime de Thiers connu à Aix-en-Provence

La vie aixoise est pour Adolphe Thiers l'occasion d'entrer en contact avec Arlantan-Lauris, ancien président du Parlement de Provence, et de Henri-Jean-André Arnaud, chirurgien en chef de l'hôpital, qui seront ses protecteurs. Mais surtout, Thiers parvient à créer autour de lui un groupe d'amis qui deviendront pour la plupart illustres: Rouchon-Guigues qui sera avocat et historien, Charles Giraud futur membre du Dernier ministère, Antoine Aude, futur maire d'Aix, Emile et Séverin Benoît qui seront avocats, Pierre Revoil, artiste lyonnais, Floret, futur préfet de Louis-Philippe, Mottet, futur conseiller d'Etat, et Toussaint Borély notamment. Mais les deux personnes qui occuperont une place particulière dans la vie de Thiers et qu'il a connues à Aix sont Emile Teulon et l'historien François-Auguste Mignet. Ce dernier tissera avec Thiers une amitié durable que rien n'altéra. Quand Mignet part à Paris en 1821, Thiers écrit ces mots à Teulon: "J'ai perdu Mignet et pour vous figurer quelle douleur j'ai éprouvée, il faudrait connaître l'intimité, et j'ose dire la nécessité des rapports qui existaient entre nous... Maintenant je suis seul et sans forces". Ses amis croient en lui et en sa réussite: Méry affirmera en 1837 qu'"aucun ne doutait que ce jeune homme dont ils admiraient la carrière brillante, la vive aptitude aux sciences, les soudaines et animées réparties, l'improvisation souvent agressive et pétulante n'arrivât un jour aux postes les plus éminents de l'Etat. C'était à ce sujet une conviction tellement entière et profonde, que jamais le moindre éveil de sourire ironique ne parut sur une lèvre, quand l'un d'entre eux disait de ce jeune homme: Quand il sera ministre". Ses camarades scandent parfois à son encontre "Vive Adolphe Ier!" sans que l'intéressé les interrompre.

Ses études terminées, Thiers est admis brillamment au barreau en 1818; mais à en croire ses propres dires, son éloquence est médiocre: "J'ai deux ou trois fois plaidé aux Assises, écrit-il à Teulon. Je n'ai ni figure ni organe. J'ai été fort mécontent de moi et le public d'Aix l'a été tout autant. Je suis sans fortune, sans état et sans espérance d'en avoir un ici". La seule plaidoirie réussie que les historiens retiennent de Thiers se déroule dans une affaire d'homicide et d'incendie qu'il plaida avec Mignet: Thiers obtient l'acquittement de l'accusé pour l'homicide, et Mignet le laisse condamner pour l'incendie; or, il s'avérera que l'homme a bien tué mais pas incendie.

Parallèlement, il se lance dans l'écriture avec divers projets: un mémoire sur Lally-Tollendal, un traité de trigonométrie sphérique, un mémoire sur l'éloquence judiciaire un éloge de Tadeusz Kosciusko, une tragédie sur Tiberius Gracchus et enfin quelques chapitres de son futur traité de philosophie. Même si certains aboutiront, la plupart de ces projets resteront à l'état embryonnaire. Thiers concourt aussi à l'académie d'Aix avec son Eloge de Vauvenargues mais l'académie, jugeant l'auteur trop libéral, renvoie son jugement à l'année suivante; ne voulant pas être refusé à nouveau, Thiers fait envoyer son manuscrit de Paris sans signature visible: n'y reconnaissant pas l'auteur de l'année précédente, l'académie se laisse duper et couronne l'ouvrage.

Las de ne pouvoir s'imposer comme il le souhaiterait, Thiers envisage de s'installer à Paris, seule ville selon lui où il pourra assouvir ses ambitions, et ainsi de rejoindre Mignet. Il avoue à Teulon en novembre 1820: "Tout cela [les plaidoiries au Palais] ne satisfait pas une âme inquiète qui voudrait voir du pays, des hommes, des événements, des dangers et arriver à la mort ou à de grands résultats. Je ne suis pas heureux, j'éprouve d'ardents besoins et je suis pauvre. J'aimerais les femmes, la table, le jeu et je n'ai point d'or". Il parvient à recueillir quelques sous de ses amis pour le voyage et les premiers temps de vie parisienne. Bien qu'il éprouve une certaine douleur en laissant derrière lui son pays natal, Thiers ne quitte Aix le 18 septembre 1821 qu'en pensant à Paris, à la puissance et à la gloire".

La conquête du pouvoir

Arrivée à Paris

Thiers arrive à Paris en diligence le 25 septembre 1821, une semaine après son départ. Selon le témoignage d'un de ses contemporains, "Il avait la tête suspendue à une paire de lunettes, portant un habit à désespérer la chimie, un pantalon collant très court, remontant aux mollets, des bottes de porteur d'eau et un chapeau fabuleux digne du cabinet d'un antiquaire".

Des lettres de recommandation lui permettent de trouver grâce au duc de La Rochefoucauld-Liancourt un poste de secrétaire à 1 500 francs l'an. L'un des auteurs de ces lettres, Jean-Joachim Pellenc, dresse un portrait ambigu mais lucide de Thiers: "Le jeune Thiers est arrivé à Paris depuis deux jours, son talent d'écrivain surpasse encore toutes les idées que je m'en étais faites. Son plan est de rester à Paris, de s'y fixer et d'en trouver le moyen par le travail. Je présume qu'il y parviendra dès qu'il sera connu. Il y a encore à dire que M.Thiers n'a pas pour lui les qualités extérieures. Il est très petit de stature, le son de sa voix n'est pas agréable. Il a beaucoup d'accent, il lit mal et quoi qu'il ait sa tête énorme et de la cervelle d'Aristote et de celle de Planton à doses presque égales, vous pourriez fort bien dans de vaines discussions le trouver trop idéologue". Sur la loyauté du jeune homme envers ses protecteurs, Pellenc se montre dubitatif: "Il est probable que plus tard, que dans peu de jours peut-être, si quelques libraires ou quelques journalistes s'emparent de lui, il ne sera plus dans la même disposition. D'ailleurs, comme il est pressé, vif et actif, il est possible qu'il s'arrange de lui-même à mon insu".

Le jeune avocat loge d'abord trois mois chez le duc de La Rochefoucauld-Liancourt au Château de La Rochefoucauld, avant de rejoindre Mignet dans un minuscule garni du Passage Montesquieu dans le 1er arrondissement de Paris (aujourd'hui disparu), composé seulement d'une commode, d'un lit de noyer, de chaises et d'une table noire. A la recherche de nouveaux protecteurs, Thiers fait la connaissance de Jacques-Antoine Manuel, député provençal d'extrême gauche, qui l'introduit auprès du banquier Jacques Laffitte; il rencontre également Etienne, l'un des dirigeants du journal Le Constitutionnel, qui va l'appeler à la rédaction. En se tournant vers le journalisme, Thiers espère exercer une profession plus prometteuse en termes d'influence et financièrement plus juteuse que celle d'avocat.

Gravure représentant Adolphe Thiers, 1845


Thiers commence donc une carrière journalistique au sein du Constitutionnel; il fait sa place dès le premier article et perçoit une honorable rémunération, ce qui lui permet de déménager dans un appartement plus correct au 4 rue de Choiseul. Parallèlement, il écrit aussi aux Tablettes universelles, à l'Album des livraisons, au Miroir, aux Annales de la littérature et des arts, à l'Encyclopédie progressive, à la Revue française, au Globe et à la Gazette d'Augsbourg. Thiers emploie un style clair et une polémique aiguisée, si bien que ses éloges sont recherchés et ses analyses appréciées; il est capable d'écrire sur tous les sujets avec la même aisance. Bien que la majorité de ses contributions soient de nature politique, il s'adonne aussi à l'économie et à la finance, suivant notamment les fluctuations boursières et le krach immobilier de 1826. Ses journées sont bien remplies: levé à 5 heures, Thiers écrit chez lui le matin, se rend au journal l'après-midi et court les salons le soir afin de faire des rencontres et récolter des informations.

Touchant à beaucoup de sujets différents, il va dans le même temps écrire sur l'art (Salon de 1822, Salon de 1824), sur la littérature et la finance (Law et son système de finance). Il sera l'un des premiers journalistes à révéler le talent de Delacroix, faisant l'éloge du jeune peintre dans le Constitutionnel du 11 mai 1822. Sa curiosité l'amène à rencontrer des personnalités de divers horizons, tels Joseph-Dominique Louis et les généraux de l'Empire; il fréquente de nombreux salons littéraires, comme ceux de Madame de La Fayette, Madame de Dino (nièce de Talleyrand), Madame Aubernon et Madame Aubernon et Madame Pomaret; la maison de François Gérard qui lui permet de rencontrer Stendhal, Lizinska de Mirbel, Wilhelm von Humboldt, Prosper Mérimée et Louis François Bertin de Vaux". Deux rencontres marqueront un tournant dans la vie de Thiers: celle de Rémusat (avec qu'il réanimera La France chrétienne) et celle de Talleyrand.

De 1824 à 1830, Thiers collabore à la Gazelle d'Augsbourg, journal allemand au sein duquel il représente le correspondant français, signant ses articles Der französische Correspond. Cette activité lui donne des revenus supplémentaires et lui permet de s'exprimer plus librement que dans la presse française. Il y donne ses analyses concernant la politique intérieure (notamment la mort de Louis XVIII et l'avènement de Charles X) et la politique étrangère (indépendance des colonies espagnoles, indépendance de la Grèce). Cette collaboration permet au jeune homme d'accroître son influence professionnelle et sociale, et d'élargir ses contacts.

Thiers est convaincu que la question constitutionnelle est ce qui sépare la branche aînée des Bourbons de l'opinion. Pour lui, la société française est avant tout dominée par la crainte du gouvernement des prêtres: "La France, écrit-il, est incrédule encore plus que libérale". Il soutient que "le joug de l'Eglise est le plus abhorré de tous en France" et que c'est à cette époque "qu'on peut vérifier que la France est incrédule plus que libérale. Le dégoût est universel, on rencontre une foule de gens qui disent: Pourquoi ne nous faisons-nous pas protestants?"

Avec le républicain Armand Carrel, son ancien condisciple et ami François-Auguste Mignet et le libraire éditeur Auguste Sautelet, il fonde ensuite, au tout début de 1830, un journal d'opposition au régime de Charles X, Le National, dans lequel il développe ses conceptions politiques.

Historien

Thiers ne se contente pas du journalisme: en février 1822, il traite avec les éditeurs Lecointe et Duret pour publier une Histoire de la Révolution française; les deux premiers volumes paraissent à l'automne de 1823 et les deux suivants en 1824. Dans l'ensemble, le succès est vif et l'auteur est notamment salué par Chateaubriand, Stendhal et Sainte-Breuve. L'oeuvre sera traduite en anglais (1838) et en espagnol (1889) et connaîtra de nombreuses éditions. Quand Thiers est reçu à l'Académie française le 13 décembre 1834 au fauteuil 38, il reconnaît que c'est comme historien et non comme ministre qu'il entre chez les Immortels: "J'ai consacré dix années de ma vie à écrire l'histoire de notre immense révolution, je l'ai écrite sans haine, sans passion, avec un vif amour pour la grandeur de mon pays, et quand cette révolution a triomphé dans ce qu'elle avait de bon, de juste, d'honorable, je suis venu déposer à vos pieds le tableau que j'avais essuyé de tracer de ses longues vicissitudes". La publication de l'ouvrage s'avère être en outre une affaire lucrative et accroît les connaissances de l'auteur sur la politique, l'administration, la guerre et les finances.

Il fréquente avec son ami François-Auguste Mignet la goguette des Frileux. De 1845 à 1862, publie en 20 tomes Le Consulat et l'Empire, récit chronologique et très détaillé de la période correspondante.

Ses contributions à la Monarchie de Juillet

Lors des Trois Glorieuses (1830), il est de ceux qui poussent Louis-Philippe d'Orléans à prendre le pouvoir. Vers la fin de 1830, il est tenté d'évoluer nettement vers la gauche, mais il est épouvanté par la mollesse de Jacques Laffitte face à l'agitation, particulièrement après le sac de l'église Saint-Germain-l'Auxerrois en février 1831, et rejoint alors le parti de la résistance. L'énergique Casimir Perier, qui succède à Laffitte, le subjugue et reste son modèle en politique.

Après le décès de celui-ci, il entre, le 11 octobre 1832, dans le premier ministère Soult au poste-clé, en ces temps troublés, de ministres de l'Intérieur. Avec Guizot et le duc de Broglie, il forme une triade de "talents supérieurs" qui domine le ministère.

A cette époque, Thiers plaît à Louis-Philippe, qu'il sait divertir et flatter. Mais la famille royale le déteste. La reine Louise, qui le surnomme "le poney blanc", s'exclame après sa nomination au ministère de l'Intérieur: "Un homme sans tenue, sans probité politique!".

Premier gouvernement (1836)

Insensiblement, alors que la monarchie de Juillet se stabilise, la menace républicaine étant définitivement éliminée avec les lois de septembre 1835, Thiers évolue vers le centre gauche, puis vers la gauche. Cette évolution est encouragée par le roi, qui cherche à le détacher de ses amis doctrinaires Guizot et Broglie pour mieux affirmer son propre pouvoir. Après que la Chambre des députés a renversé le ministère Broglie, Louis-Philippe nomme Thiers président du Conseil du 22 février 1836 au 6 septembre 1836.

Talleyrand encourage Thiers à accepter: "Monsieur, l'Europe vous attend", non sans mettre en garde le roi. Thiers sait que les relations risquent de devenir rapidement difficiles avec le roi, qui veut gouverner, alors que lui-même a frappé, en janvier 1830, la fameuse maxime: "Le roi règne mais ne gouverne pas". Mais, après avoir montré ses talents d'homme à poigne au ministère de l'Intérieur et soigné sa popularité au ministère des Travaux publics, il veut être ministre des Affaires étrangères et président du Conseil pour recueillir le mérite de la plus grande affaire diplomatique à laquelle songe Louis-Philippe: une alliance avec l'Autriche, permettant à la monarchie de Juillet de ne plus être l'otage de l'Angleterre et réglant, dans le même mouvement, la question de l'établissement matrimonial du duc d'Orléans.

Mais, en dépit du zèle mis par Thiers à seconder les désirs de Metternich, le projet de mariage autrichien est rejeté par la cour de Vienne. Sur le plan intérieur, Thiers est également fragilisé par la reprise de l'agitation républicaine à la suite de l'attentat d'Alibaud (25 juin 1836) contre Louis-Philippe.

Désireux de se venger de l'affront infligé par l'Autriche et de rétablir sa popularité en conquérant un peu de gloire militaire, Thiers voudrait envoyer des troupes françaises dans la péninsule ibérique, qui sombre progressivement dans la guerre civile en raison de la rébellion carliste contre la reine-régente Marie-Christine. Il croit pouvoir faire annoncer une intervention militaire imminente le 13 août, au lendemain du promunciamiento de la Granja, qui contraint la reine régente à accepter la Constitution libérale de 1812. Mais il est aussitôt désavoué par Louis-Philippe, viscéralement hostile à une intervention militaire dans la péninsule ibérique, et conforté dans son refus par Talleyrand et par Soult, qui en a fait l'expérience malheureuse sous l'Empire. Aussi, le 16 août, Thiers envoie sa démission au roi, "se réservant de le servir utilement quand ils seront tout à fait d'accord".

Dans les jours suivants, le roi et Thiers ont plusieurs entretiens pour régler la succession. D'après la duchesse de Maillé, "il y a eu une scène, où Thiers a été assez insolent et ils se sont mal quittés. M.Thiers lui a dit qu'il reviendrait au ministère malgré lui, comme l'homme du peuple, qu'il avait en cette qualité plus de pouvoir que lui. C'est un ennemi dangereux que M.Thiers" "Thiers, commentera Louis-Philippe, a été excellent jusqu'à la rupture du mariage, après cela, il a complètement perdu la tête".

Pendant les années 1837 à 1839, Thiers cherche ardemment sa revanche et combat sans relâche son successeur, le comte Molé. Âme de la "coalition" formée pour le renverser, il s'évertue à faire échouer, une fois ce but atteint, toutes les combinaisons imaginées par Louis-Philippe pour le remplacer. Le roi cherche même à l'écarter en lui offrant une grande ambassade, que Thiers refuse avec indignation tandis que ses amis poussent de hauts cris. Son opportunisme trop évident lui est violemment reproché par Balzac dans la Chronique de Paris le 12 mai 1836: "Monsieur Thiers n'a jamais eu qu'une seule pensée: il a toujours songé à Monsieur Thiers.

Son attitude n'est cependant pas du goût de tous ses partisans, et Thiers subit un premier camouflet avec l'élection à la présidence de la Chambre des députés, le 14 avril 1839, d'un dissident du centre gauche, Hippolyte Passy, alors qu'il soutenait Odilon Barrot. Un mois plus tard, lorsque Louis-Philippe parvient enfin à constituer un gouvernement sous la présidence du maréchal Soult, Thiers y voit entrer avec fureur deux de ses ex-amis, Passy et Jules Dufaure, alors qu'il leur avait demandé de n'accepter aucun portefeuille sans son aval. Il tente alors, mais en vain, de se faire élire à la présidence de la Chambre des députés mais n'obtient que 206 voix, le 14 mai, contre 213 à Sauzet, candidat du Tiers Parti. Mortifié et ivre du désir de se venger, il entreprend, à la fin de 1839, de se rapprocher de Molé, et prévient à tout hasard le roi et Soult qu'il accepterait d'entrer dans n'importe quelle combinaison ministérielle à condition de n'y retrouver ni Passy, ni Dufaure.

Deuxième gouvernement (1840)

De nouveau président du Conseil du 1er mars au 29 octobre 1840, il est finalement écarté en 1840 en faveur de François Guizot après la crise de politique étrangère que provoque l'affaire égyptienne. Sa politique étrangère visait à soutenir Mehemt Ali dans sa rupture avec l'Empire ottoman soutenu par les autres puissances européennes (Grande-Bretagne, Russie, Autriche et Prusse). Non seulement Louis-Philippe ne voulait pas rompre avec la Grande-Bretagne, mais en plus, la Prusse ferma sa frontière sur le Rhin ce qui conduisit à une tension très forte et à une explosion de nationalisme allemand antifrançais en Rhénanie. Le roi arbitre en sa défaveur, et, affaibli par son renoncement, Thiers retourne à l'opposition. Il continue à siéger à la chambre des députés dans l'opposition centre gauche où il prend peu la parole, rédigeant la suite de son histoire de la Révolution (Le Consulat et l'Empire 1845) sur le terrain même de son adversaire Guizot, l'historien. Il encourage la campagne des Banquets qui demande la baisse du cens et dont l'interdiction conduit à la révolution de 1848.

Le 13 janvier 1841 Adolphe Thiers présente sa "Loi tendant à ouvrir un crédit de 140 millions de francs pour les fortifications de Paris", connues comme l'enceinte de Thiers. Afin de rassurer ceux qui s'inquiétaient de voir les postes de batteries installées à la fois vers l'extérieur, et vers l'intérieur de la capitale, il répondit: "c'est calomnier un gouvernement, quel qu'il soit, de supposer qu'il puisse un jour chercher à se maintenir en bombardant sa capitale". C'est pourtant ce qu'il fit en 1871.

De la monarchie constitutionnelle à la République

Deuxième République

"Adolphe Thiers, bourgeois orléaniste chimiquement pur" selon Maurice Agulhon, est écarté des affaires pendant les premiers mois de la révolution de 1848. Le 23 février 1848, quand enfin Louis-Philippe ouvre les yeux sur la gravité de la situation et accepte la démission de Guizot, il charge le Comte Molé puis Thiers, de former un nouveau ministère, mais tous deux ont déjà compris qu'il était trop tard.

Trop marqué par ses responsabilités passées, Thiers ne peut siéger au Gouvernement provisoire de la Deuxième République, ni dans la Commission exécutive de mai. Battu aux élections d'avril, il commence à prendre sa revanche en juin, élu avec la droite réactionnaire qui relève la tête. Il apporte alors son appui à une République conservatrice, dans laquelle les classes les plus populaires sont exclues du droit de vote et où l'Eglise catholique conserve une forte influence morale en particulier dans l'enseignement. Il préside la Commission sur l'assistance et la prévoyance publiques, rendant son rapport en janvier 1850.

Il appuie la candidature de Louis-Napoléon Bonaparte à la présidence, avec le groupe du parti de l'Ordre contre celle de Lamartine.

Second Empire

Opposé au coup d'Etat du 2 décembre 1851 du futur Napoléon III, durant lequel son arrestation est ordonnée, il fuit en Suisse, revient en 1852 mais se tient dans un premier temps à l'écart de la vie politique sous le second Empire auquel il est opposé.

Le régime devient plus libéral dans les années 1860. Il est élu député de Paris. Il fait un discours remarqué  sur les "libertés nécessaires" et devient le chef de l'opposition libérale. Il attire l'attention de l'opinion publique sur les dangers que représente l'unification de l'Allemagne par la Prusse mais avertit aussi du risque de la guerre en lançant un "vous êtes pas prêts" au gouvernement.

Vers la IIIe République (1871-1873)

Adolphe Thiers, par le photographe Nadar

Après la défaite de Sedan (2 septembre 1870) et la chute de l'Empire (révolution du 4 septembre à Paris), le gouvernement de la Défense nationale veut continuer la guerre engagée contre la Prusse par Napoléon III. Thiers est pressenti pour devenir ministre des Affaires étrangères mais n'accepte pas le poste. C'est Jules Favre qui est nommé. Il confie à Thiers la mission d'aller rechercher des appuis dans les capitales européennes. Thiers est à Londres du 13 au 20 septembre alors même que Favre rencontre Bismarck à Ferrières du 18 au 19. Thiers passe ensuite deux jours à Vienne puis est à Saint-Pétersbourg du 28 septembre au 9 octobre. Il revient par Vienne et Florence et arrive à Tours le 21 octobre, sans résultat. Grâce à un sauf-conduit obtenu par les Russes, il regagne, le 30 octobre, Paris assiégé. Convaincu qu'il faut reprendre des négociations avec les Prussiens, il obtient l'accord de Favre et, du 31 octobre au 5 novembre, il rencontre Bismarck installé à Versailles. Le gouvernement ne se sent pas en position, après l'émeute du 31 octobre à Paris, de faire accepter aux Parisiens des concessions territoriales et met un terme aux négociations.

L'armistice du 28 janvier 1871, est signé par Favre. La France n'ayant plus d'Assemblée depuis le 4 septembre 1870, l'armistice prévoit qu'en trois semaines, une Assemblée doit être élue et des préliminaires de paix signés et ratifiés par cette Assemblée.

Des élections se tiennent donc le 8 février, après une campagne d'une brièveté unique dans l'histoire française. Dans les départements occupés, elles ont lieu sous un contrôle des armées allemandes. Thiers est élu "chef du pouvoir exécutif de la République française"-c'est-à-dire à la fois chef de l'Etat et du gouvernement-le 17 février 1871 par l'Assemblée nationale, réunie à Bordeaux et un gouvernement est constitué. Thiers conclut avec Bismarck le traité préliminaire de paix le 26 février, ratifié par l'Assemblée le 1er mars, puis le traité de Francfort le 10 mai 1871.

Mais la crainte d'une restauration monarchique, la déception liée aux conditions de paix ainsi que des mesures maladroites comme la suppression de la solde de certains gardes nationaux ou l'enlèvement des canons de Montmartre, contribuent à provoquer, le 18 mars, un soulèvement à Paris, où est proclamée la Commune. Depuis Versailles, où s'est replié le gouvernement, Thiers organise le siège de Paris, qui se solde par l'écrasement de l'insurrection, dotée de moindres capacités militaires. La répression qui s'ensuit-nombreuses exécutions sommaires, procès expéditifs condamnant des communards à la mort, au bagne ou à la déportation-ont terni durablement la réputation de Thiers dans une partie de l'opinion, illustrée dans le "portrait" qu'en fit de Georges Clemenceau, maire de Montmatre lorsque la Commune se déclenche: "Thiers, le type même du bourgeois cruel et borné, qui s'enfonce sans broncher dans le sang".

Les réformes de Thiers

Chef du Pouvoir exécutif, Thiers se lance dans des réformes financières, administratives et militaires.

D'abord, il reste à payer l'indemnité de guerre de 5 milliards de francs exigées par l'Allemagne, somme correspondant à deux ou trois budgets annuels à cette époque. Certains députés républicains jugent le moment opportun de réaliser l'un des idéaux du programme de Belleville, à savoir le vote d'une loi établissant l'impôt sur le revenu. Mais Thiers et la majorité de l'Assemblée sont fermement opposés à une réforme financière aussi révolutionnaire et le projet est repoussé. L'idée d'une souscription par des emprunts nationaux, placés dans le public, lui est préférée. Ce grand emprunt public décidé par Thiers, voté le 21 juin 1871, permet de réunir dans la seule journée du 27 juin plus de 4 milliards de francs. Les Allemands évacuant au fur et à mesure des paiements, Thiers demande que les quatre départements parisiens soient d'abord évacués, et en septembre 1873, les derniers fonds sont versés alors que les dernières troupes d'occupation quittent le pays.

Ensuite, Thiers entreprend de réformer la carte administrative par deux grandes lois:


  • Celle du 10 août 1871 maintient le préfet comme unique représentant de l'Etat dans le département; le Conseil général de préfecture est, comme sous le Second Empire, élu au suffrage universel masculin, mais, et c'est une nouveauté, le département obtient le statut de collectivité territoriale
  • Celle du 14 avril 1871 revint sur la loi du 7 juillet 1852, adoptée sous le Second Empire: le maire est élu par le conseil municipal (lui-même élu au suffrage universel), sauf dans les villes de plus de 20 000 habitants où le maire est nommé à la discrétion du gouvernement. Cette défense à l'égard des grandes municipalités s'explique par les événements de la Commune. Par ailleurs, Paris "bénéficie" d'un régime spécial, sans maire.
Enfin, est votée la loi du 27 juillet 1872 sur l'armée, refusant aux militaires, souvent républicains, le droit de vote. L'armée devint ce qu'on appela "la Grande Muette".

Adolphe Thiers premier président de la IIIe République

Portrait d'Adolphe Thiers

Thiers est considéré indispensable à l'Assemblée monarchiste pour négocier le départ anticipé des troupes allemandes. Les monarchistes ne sont pas fâchés de laisser la répression de la Commune afin de préserver "les Princes d'un pareil fardeau en pareil temps". Par ailleurs, il faut éviter que le Roi ne rentre "dans les fourgons de l'étranger" comme en 1814, c'est-à-dire que les Français assimilent le retour du roi à l'humiliation de la défaite et à l'occupation de la France par une armée étrangère. Il vaut mieux donc conforter Thiers dans sa position de chef de gouvernement, en attendant que la Restauration puisse se faire.

Celui-ci, critiquant son titre de chef", lui préfère celui de "président de la République, et l'Assemblée lui accorde, par la loi Rivet du 31 août 1871, ce qu'il demandait, précisant ses pouvoirs: Le président est révocable à tout instant et son mandat dure tant qu'existe l'Assemblée. Il nomme et révoque les ministres, responsables tout comme lui devant l'Assemblée, et ses actes sont contresignés par un ministre. Par décret du 2 septembre 1871, Jules Dufaure, le Garde des Sceaux est nommé vice-président du Conseil. La formule du vice-président du Conseil est appropriée, car c'était le président de la République qui présidait le Conseil des ministres, cumulant ainsi les fonctions de chef de l'Etat et celle de chef du gouvernement (en plus de celle de député).Jean-Marie Mayeur explique les méthodes de gouvernement de Thiers: usant perpétuellement de la menace de démissionner, se sachant absolument nécessaire, le président de la République impose son autorité de plus en plus réticente. Le basculement de ses convictions entraîne sa chute.

Les monarchistes sont divisés en deux familles, deux obédiences n'acceptant pas le même héritage:

  • Les légitimistes, prônant un retour à la monarchie de droit divin, ne s'appuyant ni sur le peuple, ni sur le Parlement détestant la Révolution et ses avancées, sont réunis autour de la personne du comte de Chambord, pour eux Henri V depuis l'abdication de son grand-père Charles X.
  • Les orléanistes, voulant réconcilier royauté et Révolution, et adoptant le drapeau tricolore comme le fit le Roi-citoyen, ont pour prétendant le Comte de Paris.

La Chambre étant divisée en trois grands blocs, les légitimistes, les orléanistes et les républicains, les monarchistes doivent s'allier pour espérer le retour d'un roi. Or, cette alliance ne se fait pas. En effet, par le manifeste du 5 juillet 1871, le Comte de Chambord, premier dans l'ordre de succession, refuse d'adopter le drapeau tricolore pour lui préférer le drapeau blanc. Ce refus, empêchant la Restauration, sépare les orléanistes des légitimistes, et le 7 juillet, une déclaration de 80 députés légitimistes libéraux entraîne une scission au sein du Cercle des Réservoirs.

Devant les échecs d'une restauration, Thiers semble se tourner de plus en plus vers le régime républicain, et dans un discours du 13 novembre 1872, il affirme son ralliement à la République, qu'il voulait socialement conservatrice et politiquement libérale. Dans son message présidentiel à l'Assemblée, il dit: "la République existe, c'est le gouvernement légal du pays. Vouloir autre chose serait une nouvelle révolution et la plus redoutable de toutes". Inquiets de la montée des groupes parlementaires républicaines aux élections partielles et des mouvements de gauche, notamment radicaux, les monarchistes attendent de Thiers qu'il s'y oppose. Celui-ci se contente de leur répondre:

"Puisque vous êtes la majorité, que n'établissez-vous la monarchie?"


Comprenant que Thiers ne les aiderait plus, la "loi chinoise" est votée, le 13 mars 1873, portant sur "les attributions de pouvoirs publics et les conditions de la responsabilité ministérielle". Désormais, si le président peut toujours s'exprimer au sein de l'Assemblée nationale, son allocution n'est pas suivie de débats. Cela limite son temps de parole et le transforme en monologue. Cette loi est importante en ce qu'elle établit définitivement les relations entre le Parlement et le président de la République sous la IIIe République. Le 15 mars 1873 est signée la convention d'évacuation des troupes allemandes. Thiers n'est plus indispensable à la majorité monarchiste. Une "Union des droites" se forme autour d'Albert de Broglie afin de faire "prévaloir dans le gouvernement une politique résolument conservatrice". Le 23 mai 1873, Thiers prononce un discours de deux heures, signifiant à la majorité monarchiste que la République serait le seul régime viable:

"J'ai pris mon parti sur la question de la République, oui, je l'ai pris. Ce qui m'y a décidé, c'est qu'aujourd'hui pour vous, pour nous, la monarchie est impossible. On n'occupe pas un trône à trois (le comte de Chambord, le comte de Paris et le prétendant bonapartiste alors prince impérial)!"

Lors d'une élection partielle, Rémusat, candidat de la majorité, est battu par Désiré Barodet, ce qui entraîne une forte activité à la Bourse de Paris, durant la journée de dimanche, sur le trottoir devant le Palais Brongniart. Cet échec, très suivi, fut une des raisons de la chute de Thiers, qui démissionne le 24 mai, persuadé qu'il serait rappelé puisque trop indispensable. Patrice de Mac-Mahon, légitimiste, général ayant réprimé la Commune, est alors élu président de la République, le soir même.

Après son décès

Le mausolée d'Adolphe Thiers au Père-Lachaise


En 1877, l'année de son décès, Gambetta le proclame "libérateur du territoire". Il repose dans un énorme mausolée à côté de la chapelle au Père-Lachaise, division 55. Sur l'épitaphe apposée, on lit "Patriam dilexit-Veritalem Coluit". Près d'un million de parisiens assistent à ses obsèques et une centaine de villes de France lui consacrent une place ou une avenue.

Vie privée

En 1827, Adolphe Thiers se lie d'amitié avec la famille Dosne. Alexis Dosne est un riche agent de change. Thiers est très vite l'amant de la maîtresse de maison, Eurydice (elle a alors 32 ans et lui 30). En novembre 1833, il épouse Elise Dosne fille aînée de sa maîtresse. Balzac fait une référence caustique à ce mariage dans La Maison Nucingen en écrivant: "Après quinze ans de liaison continue et, après avoir essayé son gendre, la baronne Delphine de Nucingen avait marié sa fille à Rastignac". Ce mariage lui apporte une très grande fortune, mais ne lui donne aucune position sociale solide. Elise apporte en dot un hôtel particulier situé place Saint-Georges, qui abrite aujourd'hui la fondation Dosne-Thiers. Il s'entiche également de la seconde fille de la famille, Félicie.

La presse parle alors des "trois moitiés de M. Thiers". En 1871, Eurydice décède. Adolphe Thiers continue sa relation avec les deux soeurs.

Place dans l'histoire

Dans les premiers jours qui suivent son décès, Thiers laisse une image plutôt positive et les éloges ne tarissent pas à son sujet.Par exemple, le quotidien Le Temps du 5 septembre 1877 résume ainsi sa carrière: "Il avait quatre-vingt ans, mais sa ferme et lucide intelligence, son incroyable activité de corps et d'esprit, la vivacité de sa conversation et de ses allures, tout nous ôtait jusqu'à l'idée d'une fin prochaine. Ce vieillard, dont l'histoire était celle du pays depuis près de soixante ans, apparaissait déjà comme un personnage légendaire et, cependant, avec le passé, il représentait pour nous, la France républicaine et libérale, un avenir long et utile....Il avait encore des services à rendre, des conseils à donner, des hommes à éclairer....; sa grande expérience, sa clairvoyance inaltérable, sa passion du bien public donnaient à ses avis une autorité tout à fait unique".

Puis, très vite, cette image se ternit, si bien que le ducd'Aumale n'hésite pas à affirmer que "M. Thiers est le plus grand ennemi que la France ai jamais eu."L'historien Pierre Guiral explique que Thiers s'est fait beaucoup d'ennemis au cours de sa vie: les bonapartistes pour son opposition à l'Empire les monarchistes pour la fondation de la République, et enfin les "républicains avancés" pour l'écrasement de la Commune. Le député socialiste Clovis Hugues s'insurge à l'idée d'édifier une statue à son effigie: "Eh! parlons-en de ce petit grand homme. Si toutes les victimes qu'il a faites en formant le socle, sa tête irait toucher le ciel!".

En mai 1968 s'installe en France une haine anti-Thiers: à Marseille, certains étudiants rebaptiser le lycée Thiers en lycée Pythéas ou encore en lycée de la Commune de Marseille. La rue Thiers est débaptisée à Vernon et sa tombe à Paris est profanée. La même année, l'article consacré à Adolphe Thiers dans le Dictionnaire des littératures énonce qu'"il noya dans le sang la Commune". 

En 1990, l'historien François Roth écrit: "Il faut débarrasser la mémoire de Thiers des légendes qui l'obscurcissent. La plupart de ses contemporains l'ont porté aux nues et n'ont pas tari d'éloges sur "l'illustre négociateur", sur l'éminente sagesse de "l'illustre homme d'Etat". Les historiens du début du XXe siècle ont baissé un peu le ton en l'approuvant. Puis un courant d'opinion amorcé par les ouvrages d'Henri Guillemin l'a rejeté. Pour les insurgés de 1968 et les célébrants intellectuels du centenaire de la Commune, le cas de Thiers n'est même plus plaidable. Il faut toujours revenir au contexte de février 1871. Avec ce qui restait d'armée, la reprise de la guerre était une totale illusion. Thiers a été suivi, la mort dans l'âme, par l'immense majorité de ses compatriotes".


Synthèse des mandats électifs:

  • 1848: élu député de la Seine (Paris) à l'Assemblée nationale constitutionnelle (élu dans 3 autres départements)
  • 1863: réélu député de la Seine
  • 8 février 1871: élu député dans plusieurs départements (dont le Loiret, mais aussi de la Vienne), il opte (à une date non connue, avant le 2 juillet 1871) pour le mandat de député de la Seine.
Décorations:

Légion d'honneur:

.Chevalier: 1831
.Officier: 1833
.Commandeur:1835
.Grand Officier de la Légion d'honneur en 183
.Grand croix de la Légion d'honneur en 1871 en tant que président de la République

Chevalier de l'ordre de la Toison d'or (Espagne) le 14 septembre 1871

Napoléon III (1ère partie)

Le plébiscite


Conformément à sa proclamation au peuple, Louis-Napoléon rétablit le suffrage universel et convoque les électeurs (hommes) les 20-21 décembre, "10 jours seulement après l'élimination des derniers nids de résistance", afin de se prononcer par plébiscite sur les réformes du "prince-président". Face à la légalité constitutionnelle dont se prévalaient les défenseurs de la République, les bonapartistes opposent le suffrage universel, placé au-dessus de la Constitution, et la confiance directe manifestée par le peuple comme seule source de légitimité. La propagande bonapartiste ne manque pas également d'agiter la hantise du "péril rouge"et le thème de "sauveur de la Nation", appuyée par une administration zélée et une bonne partie du clergé catholique.

La consultation se déroule dans la terreur sur la partie du territoire encore en état de siège. Seuls les journaux favorables au plébiscite sont autorisés à paraître. Le président jouit cependant d'une réelle popularité auprès des paysans et la nature de la consultation ne laisse guère de choix entre l'état de fait accompli et le néant. Du coup, les civils sont autorisés à voter à bulletin Oui sont imprimés, les Non devant être écrits à la main avant que le bulletin ne soit donné au président du bureau de vote pour qu'il le glisse lui-même dans l'urne.

A la suite du ralliement du clergé et de bon nombre des parlementaires de la majorité qui ont été arrêtés le 2 décembre et ont voté sa déchéance, le corps électoral se prononce favorablement sur la révision par 7 439 216 "oui" contre 640 737 "non" (résultats provisoires du 31 décembre 1851) ou 7 481 231 "oui" contre 647 292 "non", pour les résultats définitifs publiés par le décret du 14 janvier 1852 (pour environ 10 millions d'inscrits et 8 165 630 votants dont 37 107 nuls). Si les principaux foyers d'opposition se trouvent dans les grandes villes, le seul canton rural à voter en majorité pour le "non" est celui de Vernoux, dans l'Ardèche.

Selon l'historien Jean-Yves Mollier, la décapitation et la terrorisation du camp démocrate furent immédiates. Il fallait tuer pour être compris, avait prévenu Morny, et l'on fit couler suffisamment de sang pour impressionner l'opinion". En conséquence, le nombre des suffrages "non" est "remarquable tant il fallut de courage physique et mental, ce jour-là, pour oser exprimer ainsi sa réprobation du crime". Pour le président, "plus de sept millions de suffrages" venaient de "l'absoudre en justifiant un acte qui n'avait d'autre but que d'épargner à la patrie et à l'Europe peut-être des années de trouble et de malheur". Georges Sand, d'opinion républicaine, constate qu'"il y eut terreur et calomnie avec excès,mais le peuple eût voté sans cela comme il a voté. En 1852, ce 1852 rêvé par les républicains comme le terme de leurs désirs et le signal d'une révolution terrible, la déception eût bien été autrement épouvantable.Le peuple eût résisté à la loi du suffrage restreint et voté envers et contre tout, mais pour qui? Pour Napoléon". Le philosophe et historien Hippolyte Taine témoigne de l'impopularité de l'Assemblée dissoute et du soutien des campagnes à Louis-Napoléon, estimant aussi que "Bonaparte n'est pas pire que les autres. L'Assemblée haïssait la République plus que lui et, si elle avait pu, elle aurait violé son serment pour mettre au trône Henri V, ou les Orléans et au pouvoir M.Changarnier".

Finalement, comme le note l'historien Pierre Milza, une majorité des Français n'a pas désapprouvé Louis-Napoléon et en est même satisfaite comme le reconnaît aussi amèrement François Guizot: "Le pays, il serait puéril de le dissimuler, le gros du pays s'est félicité du coup d'Etat du 2 décembre. Il s'est senti délivré dans le présent de l'impuissance à laquelle le président et l'assemblée se réduisaient mutuellement. Il s'est cru délivré pour 1852 de tous les périls et de tous les maux qu'il attendait à jour fixe. Il a baissé la tête, un peu honteux du coup; mais en baissant la tête, il a respiré, content au fond, quoique humilié". Il ajoute cependant que le peuple "a espéré du repos et un gouvernement" mais qu'il ne les a pas.

Louis-Napoléon prend alors la responsabilité d'être le fossoyeur de la Deuxième République ce dont l'Histoire républicaine lui tient longtemps rigueur, oubliant souvent que l'assemblée a songé à plusieurs reprises à faire de même, en recourant à l'armée pour se débarrasser du président et pour rétablir la monarchie. Le coup d'Etat du "2 décembre a donné naissance à une légende noire" fondée en partie sur la version donnée par Victor Hugo dans son livre Histoire d'un crime que l'historien Louis Girard caractérise cependant comme "peu crédible dans l'ensemble" mais qui apparaît, selon l'historien Pierre Milza, comme "le récit le plus circonstancié" à défaut d'être le plus exact du coup d'Etat.

La marche vers le Second Empire

L'empereur Napoléon III

La constitution française est donc modifiée.Le prince-président avait promis le "retour à la légalité républicaine" sans en donner de définition précise. La république qu'il conçoit a pour but d'oeuvrer au bien commun et implique qu'elle soit dirigée d'une main ferme par un chef capable de trancher entre les intérêts divergents et d'imposer l'autorité de l'Etat à tous. Il avait ainsi exposé sa conception de la démocratie césarienne quelques années plus tôt dans Des Idées napoléoniennes où il écrivait que "dans un gouvernement dont la base est démocratique, le chef seul a la puissance gouvernementale, la force morale ne dérive que de lui, tout aussi remonte directement jusqu'à lui, soit haine, soit amour". Les éléments chefs du bonapartisme, alliant autorité et souveraineté du peuple, sont ainsi clairement exposés: le régime bonapartiste serait donc autoritaire tout en recherchant l'approbation des masses.

Une commission de 80 membres est chargée de préparer un texte constitutionnel. Celui-ci est principalement l'oeuvre de Persigny, de Charles de Flahaut et des juristes Jacques-André Mesnard, Eugène Rouher et Raymond Troplong. Fondée au terme de son premier article sur les grands principes proclamés en 1789, la république consulaire, qui est ainsi instituée par la nouvelle constitution et promulguée le 14 janvier 1852, confie le pouvoir exécutif à un président élu pour dix ans (article 2) seul responsable devant le peuple français auquel il a toujours droit de faire appel (article 5). Le nouveau régime politique est donc plébiscitaire et non parlementaire. Le chef de l'Etat a seul l'initiative des lois qu'il sanctionne et promulgue alors que les ministres ne sont responsables de leurs actes que devant lui. Le président nomme par ailleurs à tous les emplois civils et militaires et la justice se rend en son nom. Il est aussi seul apte à déclarer la guerre et à conclure les traités de paix ou de commerce. La garde nationale est réorganisée en une armée de parade. Un serment de fidélité à sa personne ainsi qu'à la Constitution est institué pour les fonctionnaires et les élus.

De janvier jusqu'au 29 mars 1852, Louis-Napoléon Bonaparte est le seul des trois moyens de gouvernements alors en place. Il légifère durant cette période par des "décrets dictatoriaux" que l'on appellerait aujourd'hui des décrets-lois. Celui du 23 janvier 1852, reprenant une proposition de loi de Jules Favre déposée en 1848 et qui voulait déclarer acquis au domaine de l'Etat les biens de l'ancien roi des Français, interdit à la famille d'Orléans de posséder des biens en France et annule les dotations financières attribuées autrefois à ses enfants par Louis-Philippe Ier, le produit des séquestres étant réparti entre les sociétés de secours mutuel, les logements ouvriers, la caisse des desservants ecclésiastiques et la Légion d'honneur. Pour les royalistes orléanistes et les bourgeois nostalgiques de la Monarchie de Juillet, ces dispositions sont démagogiques et équivalentes à une spoliation. La partie bourgeoise de l'électorat y voit notamment un coup porté au droit de propriété. Cette affaire provoque d'ailleurs des tensions au sein même du camp bonapartiste. La princesse Mathilde, qui tente d'obtenir la grâce des princes d'Orléans, est désavouée alors que quatre membres importants du gouvernement (Rouher, Fould, Magne et Morny) démissionnent pour marquer leur désaccord. Commentant cette affaire, l'écrivain Alexandre Dumas, lui-même poursuivi par des créanciers après la faillite de son théâtre et qui doit se réfugier à Bruxelles, s'exclame "l'oncle prenait des capitales, le neveu veut prendre nos capitaux".

Portrait officiel de Louis-Napoléon Bonaparte




100 francs or Napoléon III



Timbre Louis-Napoléon, République française de 1852


D'autres décrets réorganisent la Garde nationale alors que "les associations ouvrières, en fait des coopératives de production, sont presque toutes dissoutes". En revanche, les sociétés de secours mutuelles, "si elles acceptent le patronage des membres honoraires qui les subventionnent, du maire et du curé", sont favorisées. Il s'agit, dans l'esprit de Louis-Napoléon, de promouvoir "le bien-être du peuple mais ne pas tolérer de sociétés de résistances sous couvert d'oeuvres sociales". En même temps, c'est par un décret du prince-président que les congrégations de femmes sont autorisées. Le décret du 17 février sur la presse reprend en les aggravant les conditions antérieures exigées pour la diffusion, exige pour toute création une autorisation préalable de l'administration et inaugure la procédure des avertissements pour les journaux politiques (Le journal des débats, Le Siècle). Le régime électoral est précisé par un décret dictatorial du 2 février qui fait d'un électeur tout homme de 21 ans comptant 6 mois de domicile. Le scrutin d'arrondissement à deux tours est adopté de préférence à celui du scrutin de liste en vigueur sous la deuxième république. Enfin, parmi les dispositions les plus innovatrices et remarquées depuis janvier 1852 figure celle qui établit les bureaux de vote dans chaque commune, et non plus au chef-lieu de canton, comme c'était le cas depuis 1848. L'historien Maurice Agulhon note que cette innovation, "en facilitant et familiarisant la pratique du vote, ne pouvait que contribuer à l'éducation civique de l'électeur, ce qui se produira en effet peu à peu au long du Second Empire".

Parallèlement et concrètement, le statut du président évolue pour devenir celui d'un monarque: il signe Louis-Napoléon, se  laisse appeler son altesse impériale, ses amis et partisans sont récompensés pour leur fidélité, une cour s'installe, les aigles impériales sont rétablies sur les drapeaux, le code civil est rebaptisé code Napoléon, le 15 août célèbre la saint-Napoléon, premier modèle réussi en France de fête nationale alors que l'effigie du prince-président fait son apparition sur les pièces de monnaie et les timbres-poste.
   

Napoléon III

Napoléon III par Alexandre Cabanel (1865).


Charles-Louis-Napoléon Bonaparte dit Louis-Napoléon Bonaparte, né à Paris, le 20 avril 1808 et mort à Chislehurst au Royaume-Uni, le 9 janvier 1873, est un homme d'Etat français. Il est à la fois l'unique président de la Seconde République, le premier chef d'Etat français élu au suffrage universel masculin, le 10 décembre 1848, le premier président de la République française, et après la proclamation de l'Empire le 2 décembre 1852, le dernier monarque du pays, sous le nom de Napoléon III, empereur des Français.

Troisième fils de Louis Napoléon Bonaparte dit Louis Bonaparte, roi de Hollande, et d'Hortense de Beuharnais, il naît prince français et prince de Hollande: neveu de l'empereur Napoléon Ier il est à la fois neveu et petit-fils de l'impératrice Joséphine (sa grand-mère maternelle). Exilé après la chute de l'Empire, conspirateur avec son frère aîné pour l'unité italienne, il devient héritier présomptif du trône impérial après les morts successives de son frère aîné Napoléon Louis en 1831, et du duc de Reischsdadt (napoléon II, roi de Rome) en 1832.

Ses premières tentatives de coup d'Etat, mal préparées (Boulogne, Strasbourg), échouent. Il est condamné à l'emprisonnement au fort de Ham. Mais il profite des suites de la Révolution française de 1848 pour se faire élire représentant du peuple puis président de la République. Son coup d'Etat du 2 décembre 1851 met fin à la Deuxième République, et lui permet l'année suivante de restaurer l'empire à son profit. Face à l'opposition des républicains, des libéraux de Thiers, de certains monarchistes et des catholiques (après l'unité italienne), il donne à son pouvoir un caractère autoritaire qui s'atténue après 1859 pour laisser place, progressivement, à un "Empire libéral".

La philosophie politique qu'il met en place, et qu'il a présentée dans ses Idées napoléoniennes et dans L'Extinction du Paupérisme (1844), est une synthèse d'un bonapartisme mêlé à du romantisme, du libéralisme autoritaire, et du socialisme utopique. Le règne de cet admirateur de la modernité britannique est marqué par un développement industriel, économique et financier sensible, porté par une forte croissance mondiale qu'illustre la transformation de Paris sous l'autorité du préfet Haussmann.

Sa politique extérieure vise à restaurer la puissance française en Europe et dans le monde. Il rompt l'isolement diplomatique voulu au congrès de Vienne par trois puissances de la Sainte Alliance: son entente avec la Grande-Bretagne lors de la Guerre de Crimée contre la Russie, son soutien aux mouvements nationaux en particulier lors de l'unité italienne contre l'Empire d'Autriche, et ses diverses opérations outre-mer parfois en coalition avec la Grande-Bretagne permettent l'agrandissement du territoire (Nice, Savoie) ainsi qu'une expansion coloniale et commerciale. Elle provoque cependant l'hostilité de la Prusse et subit un échec au Mexique.

La fin de son régime est scellée à l'issue du piège de la Dépêche d'Ems et de la bataille de Sedan, le 2 septembre 1870, lors de la guerre franco-prussienne. Le 4 septembre 1870, la République est proclamée. Napoléon III part en exil en Angleterre, où il meurt en janvier 1873.

La vive hostilité de Victor Hugo à l'égard de Napoléon III, exprimée dans ses oeuvres et sa correspondance, les multiples pamphlets et ouvrages critiques de divers auteurs et les artistes d'une partie de la presse politique contemporaine contribuent à ce que de nombreux histoires qualifient de "légende noire" autour de Napoléon III et du Second Empire.

L'oeuvre économique et sociale du Second Empire est mise en valeur par l'historiographie officielle dès le début du XXe siècle, mais la révision du jugement historique porté sur Napoléon III lui-même est plus lente. Après la Seconde Guerre mondiale, des travaux des historiens, notamment ceux effectués par Adrien Dansette et Louis Girard, vont dans le sens d'une réhabilitation de Napoléon III, marquent une nette rupture historiographique dans la perception de celui qui est le dernier monarque français.

Jeunesse




Troisième fils de Louis Bonaparte et d'Hortense de Beauharnais, le futur empereur voit le jour rue Cerruti, à Paris, le 20 avril 1808, à une heure du matin. Il naît onze mois après le décès, en mai 1807, de son frère aîné âgé de 4 ans, Napoléon Louis Charles Bonaparte, victime d'une angine diphtérique. Comme son autre frère, Napoléon Louis Bonaparte, puis comme c'est plus tard le cas pour le roi de Rome, Louis-Napoléon reçoit à sa naissance les honneurs militaires par des salves d'artillerie tirées dans toute l'étendue de l'Empire. Son oncle l'empereur Napoléon étant absent, on ne prénomme l'enfant que le 2 juin suivant. Il n'est baptisé que deux ans plus tard, le 4 novembre 1810, à la chapelle du château de Fontainebleau. Son parrain est l'empereur et sa marraine la nouvelle impératrice, Marie-Louise.


Napoléon se conduira en véritable "grand-père" envers les enfants d'Hortense, n'hésitant pas à passer du temps avec eux dès que ses obligations le lui permettaient. Il aimait par exemple à faire rire aux éclats Louis-Napoléon en le saisissant par la tête pour le relever du sol. C'est lors de ces moments passés ensemble que Napoléon Ier et la reine Hortense surnommèrent affectueusement le futur Napoléon III, "monsieur Oui Oui" car celui-ci n'est pas, génétiquement, le neveu en lignée paternelle de Napoléon Ier, puisqu'il appartient à un haplogroupe du chromosome Y différent de celui de Napoléon et de Jérôme, et font naître l'hypothèse, difficile à vérifier, qu'il serait soit un enfant adultérin, soit que son père l'était, c'est-à-dire que Louis Bonaparte ne serait que le demi-frère de Napoléon et de Jérôme, autrement dit que l'aîné et le benjamin de Letizai Bonaparte n'avaient pas le même père.

En juin 1814, à la mort de leur grand-mère maternelle, l'ex-impératrice Joséphine, Louis-Napoléon et son frère sont chargés de conduire le deuil lors du transfert de la dépouille à l'église de Rueil-Malmaison.

Exil: entre Rome et le Château d'Arenenberg

La loi du 12 janvier 1816, bannissant tous les Bonaparte du territoire français et les obligeant à céder leurs biens, contraint l'ex-reine Hortense de Hollande, séparée de corps et de biens avec son mari, à s'exiler en Suisse alémanique où elle achète, en 1817, le château d'Arenenberg, dominant le lac de Constance. Elle s'y installe avec Louis-Napoléon tandis que son frère aîné part vivre avec son père à Rome, où celui-ci tente d'obtenir l'annulation de son mariage avec Hortense.

Sans soucis d'ordre matériel, Louis-Napoléon est élevé par sa mère à Arenenberg en été et à Augsbourg en hiver. Son éducation est d'abord prise en charge par quelques professeurs occasionnels mais, en général, il est souvent livré à lui-même et fait de longues escapades dans la campagne suisse. Quand son père s'aperçoit du faible niveau d'éducation de son fils cadet, alors âgé de 12 ans, il menace Hortense de lui retirer la garde de l'enfant si elle ne reprend pas en main son éducation. Elle fait alors appel à un nouveau précepteur, nommé Philippe Le Bas, fils d'un conventionnel jacobin, tandis qu'un ancien officier de son oncle Napoléon Ier lui enseigne l'Art de la guerre dans le culte de l'empereur et dans la certitude de son destin dans la dynastie. Soumis à une discipline stricte ses résultats s'améliorent dans quasiment toutes les matières. A partir de 1823, c'est à Rome qu'Hortense et ses fils s'installent, rejoignant Arenenberg en été. Dans cette ville, Louis-Napoléon découvre la politique aux côtés des libéraux italiens autour des thèmes de liberté et de nation mais c'est en Suisse qu'il s'engage dans la carrière militaire en 1830, à l'Ecole militaire centrale fédérale de Thoune alors dirigée par le futur général Dufour.

A la suite des Trois Glorieuses qui renversent Charles X en France, Louis-Napoléon et son frère aîné, Napoléon-Louis, espèrent que s'ouvre pour eux une ère nouvelle mais la loi du 11 septembre 1830, votée par la nouvelle assemblée orléaniste qui craint une offensive bonapartiste, impose à nouveau l'interdiction de séjour des Bonaparte dans le royaume.

Les fils Bonaparte sont indignés, ce qui amène la reine Hortense à partir avec eux pour Rome afin de les éloigner de la France. Ils sont néanmoins rapidement impliqués dans les conspirations des carbonari visant à favoriser la cause de l'unité italienne et à déposséder le pape de son pouvoir séculier. Les deux frères participent ainsi aux insurrections dans les territoires pontificaux de l'Italie centrale; avant de devoir finalement se replier sur Bologne, où ils se retrouvent encerclés par l'armée autrichienne et les armées pontificales, décidées chacune à leur régler leur sort. Repliés sur Forli, les deux frères doivent aussi faire face à une épidémie de rougeole qui emporte de nombreux soldats, déjà affaiblis par leurs blessures. Le 17 mars 1831, Napoléon-Louis succombe à l'épidémie tandis que Louis-Napoléon subit à son tour les effets de la maladie. La reine Hortense parvient à rejoindre son fils, à l'exfiltrer vers la France et à rejoindre Paris, où elle obtient du roi Louis-Philippe une audience le 26 avril 1831 et l'autorisation de rester à Paris plusieurs jours, le temps que Louis-Napoléon subit à son tour les effets de la maladie. La reine Hortense parvient à rejoindre son fils, à l'exfiltrer vers la France et à rejoindre Paris, où elle obtient du roi Louis-Philippe une audience le 26 avril 1831 et l'autorisation de rester à Paris plusieurs jours, le temps que Louis-Napoléon se rétablisse, avant de rejoindre l'Angleterre. Ils gagnent ensuite la Suisse en août 1831, après avoir reçu de l'ambassade de France à Londres un sauf-conduit pour traverser le territoire français. 

En 1832, Louis-Napoléon obtient la nationalité suisse dans le canton de Thurgovie, ce qui fait dire à certains historiens que Louis-Napoléon Bonaparte a été "le seul Suisse à régner sur la France".

Une marche chaotique vers le pouvoir

Après la mort du duc de Reichstadt le 22 juillet 1832, Louis-Napoléon apparaît comme l'héritier de la couronne l'héritier de la couronne impériale d'autant plus que ni Joseph Bonaparte ni son père Louis ne manifestent l'envie de reprendre ce titre. Lors d'une conférence familiale depuis la mort de l'aiglon. Exalté par les climats d'intrigues, le prince organise ses réseaux, rencontre en Belgique des émissaires du marquis de La Fayette et rédige un manuel d'artillerie pour les officiers suisses qui le fait connaître de la presse militaire française et qui lui vaut d'être récompensé par la promotion au grade de capitaine dans le régiment d'artillerie de Berne.

Pendant ces années qu'il passe principalement en Suisse, il correspond avec les chefs français de l'opposition, écrit et publie des ouvrages ou des manifestes et reçoit à Arenenberg de nombreuses telles le comte François-René de Chateaubriand, Madame Récamier ou encore Alexandre Dumas.Il continue aussi à conspirer.

Retour en Europe

Le prince ne reste pas longtemps aux Etats-Unis. Alors qu'il s'apprête à entreprendre un périple à travers tout le pays, il apprend la détérioration importante de l'état de santé de sa mère. Il rentre aussitôt en Europe pour être à son chevet à Arenenberg mais, interdit de séjour sur le continent par le gouvernement par le gouvernement de Louis-Philippe, il est bloqué en Angleterre où il essaie d'obtenir, auprès des ambassades européennes, un passeport et un visa. En août 1837, c'est finalement muni d'un faux passeport américain qu'il parvient à se rendre en Suisse auprès de sa mère mourante. Maintenue en vie sous opium, elle décède le 5 octobre 1837. 

En juin 1838, l'un des conjurés de Strasbourg, l'ex-lieutenant Armand Laity, apparenté par alliance à la famille de Beauharnais, publie à 10 000 exemplaires une brochure, financée par Louis-Napoléon, intitulée Relation historique des événements du 30 octobre 1836. Cette publication est un brûlot destiné à provoquer le régime en faisant l'apologie du bonapartisme, centré autour du triptyque nation, peuple et autorité. Dans la propagande bonapartiste ainsi présentée, la démocratie, définie comme "le gouvernement d'un seul par la volonté de tous", s'oppose à la république supposée être, pour Louis-Napoléon, "le gouvernement de plusieurs obéissant à un système". En réaction, la brochure est saisie par les autorités alors que Laity est arrêté, traduit devant la Cour des pairs pour attentat contre la sûreté de l'Etat et condamné à 5 ans de détention et 10 000 francs d'amende le 11 juillet 1838.

A la suite de cet incident, le gouvernement français demande à la Suisse, au début du mois d'août 1838, l'expulsion du prince Louis-Napoléon et, sûr de l'appui de l'Autriche, menace la confédération d'une rupture des relations diplomatiques et même d'une guerre, allant jusqu'à concentrer dans le Jura une armée de 25 000 hommes. Le gouvernement suisse, indigné, invoque la qualité de bourgeois de Thurgovie du prince. En définitive, celui-ci annonce, le 22 août, son intention de s'installer en Angleterre ce qui permet au gouvernement de Berne de déclarer l'incident clos sans avoir eu à céder aux exigences françaises.

Ayant hérité de sa mère, Louis-Napoléon a les moyens d'imprimer à 50 000 exemplaires une brochures détaillant son programme politique, Les Idées napoléoniennes, dans laquelle il fait de Napoléon Ier le précurseur de la liberté. Au début de 1840, l'un de ses partenaires les plus fidèles, Fialin, lance à son tour ses Lettres de Londres, qui exaltent ce prince qui "ose seul et sans appui, entreprendre la grande mission de continuer l'oeuvre de son oncle".

Echec de la tentative de soulèvement de la garnison de Boulogne-sur-Mer

  


Depuis Londres, le prince prépare une nouvelle tentative de coup d'Etat. Voulant profiter du mouvement de ferveur bonapartiste suscité par la décision du cabinet Thiers de rapporter de Sainte-Hélène les cendres de l'empereur, il débarque dans la nuit du 5 au 6 août 1840 entre Boulogne-sur-Mer et Wimereux, en compagnie de quelques comparses, parmi lesquels un compagnon de Napoléon Ier à Sainte-Hélène, le général de Montholon, avec l'espoir de rallier le 42 régiment de ligne.

La tentative de ralliement du 42e est un échec total. Cernés par la gendarmerie, les hommes du 42e régiment et la garde nationale,plusieurs conjurés sont tués ou blessés tandis que Louis-Napoléon est lui-même touché par une balle. Arrêtés et écroués sur ordre du procureur Hubert Legagneur, les conjurés sont traduis en justice. Leur procès se tient devant la Chambre des pairs du 28 septembre au 6 octobre, dans une indifférence générale. Le prince, défendu par le célèbre avocat légitimiste Pierre-Antoine Berryer, prononce un discours dans lequel il déclare:"Je représente devant vous un principe, une cause, une défaite.Le principe, c'est la souveraineté du peuple, la cause celle de l'Empire, la défaite Waterloo.Le principe, vous l'avez reconnu, la cause, vous l'avez servie, la défaite vous voulez la venger. Représentant d'une cause politique, je ne puis accepter, comme juge de mes volontés et de mes actes, une juridiction politique. Je n'ai pas de justice à attendre de vous, et je ne veux pas de votre générosité". Il n'en est pas moins condamné à l'emprisonnement à perpuité.

La détention au fort de Ham

Ses conditions de détentions sont assez confortables. Il bénéficie pendant son internement à forteresse de Ham-qu'il appelle plus tard " l'université de Ham-d'un appartement de plusieurs pièces. Il peut correspondre avec l'extérieur, reçoit des visites et des livres. Don Francisco Castellon, missionné par trois pays d'Amérique centrale, obtient la permission de le visiter pour lui proposer d'étudier une jonction entre les deux océans, pour laquelle le futur empereur s'est déjà passionné, le projet de canal du Nicaragua.

Il met à profit cette captivité pour se consacrer à l'étude et faire avancer sa cause dans l'opinion par l'écriture de brochures et d'articles dans les revues locales. Il écrit notamment Extinction du paupérisme (1844), ouvrage influencé par les idées saint-simoniennes et développant un moyen populiste pour accéder au pouvoir: "Aujourd'hui, le règne des castes est fini, on ne peut gouverner qu'avec les masses.

Le 25 mai 1846, après six années de captivité, il s'évade de sa prison avec le concours d'Henri Conneau, en empruntant les vêtements et les papiers d'un peintre nommé Pinguet. Les caricaturistes du Second Empire transforment plus tard le nom de celui-ci en Badinguet, qui évoque un plaisantin, pour en affabuler l'empereur en rappelant son passé de conspirateur. Avant que sa fuite soit découverte, il est déjà en Belgique et, le lendemain, en Angleterre.

La révolution de 1848

Il s'établit à Londres où il apprend la mort de son père à Livourne, le 25 juillet 1846. C'est durant cette période, moins active politiquement, que Louis-Napoléon rencontre Miss Howard, qui partage sa vie jusqu'en 1853. La Révolution française de 1848, qui met fin à la monarchie de Juillet, fournit au prince l'occasion de revenir une première fois en France à la fin du mois de février puis de voir sa candidature présentée par ses partisans aux élections de députés à l'Assemblée nationale.

En 1846,Don Francisco Castellon lui transmet les pouvoirs du gouvernement nicaraguayen pour organiser une société européenne pour le projet de canal du Nicaragua, qui doit recevoir le nom de "Canal Napoléon du Nicaragua". Le futur empereur français y travaille sérieusement, sous la forme d'un mémoire rédigé avec des ingénieurs. Il prévoit de se rendre au Nicaragua mais la Révolution de 1848 modifie ses projets. Il en reparlera en 1852 à l'industriel français du chocolat Antoine Brutus Menier, dont le fils Emile-Justin Menier fera avancer le canal du Nicaragua mais sans parvenir à le concrétiser, car une concession a été accordée à des Américains.

Président de la République puis prince-président

Les campagnes électorales de 1848

Le 4 juin 1848 candidat à l'Assemblée nationale constituante, Louis-Napoléon Bonaparte est élu dans quatre département: la Seine, l'Yonne, la Charente-Inférieure et la Corse.Ses cousins les princes Napoléon-Jérôme, Pierre Bonaparte et Lucien Murat sont aussi parmi les nouveaux élus. L'élection de Louis-Napoléon est suivie de manifestations populaires qui inquiètent la nouvelle assemblée composée de 900 élus dont 500 républicains démocrates et socialistes ainsi qu'une poignée de bonapartistes. Le 12 juin, Alphonse de Lamartine propose à ses collègues parlementaires de rendre exécutoire la loi d'exil du 10 avril 1832 qui interdisait le territoire français aux membres des familles ayant régné sur la France dans le cas où Louis-Napoléon s'aviserait de rentrer. Sa proposition est finalement rejetée. Le lendemain, la validation de l'élection, soumise à accord de l'assemblée, est acquise à une large majorité comprenant notamment les républicains Jules Favre et Louis Blanc. Néanmoins, le 16 juin, accusé d'appeler à la révolte, Louis-Napoléon annonce renoncer à remplir son mandat. Il a ainsi la chance de ne pas être compromis dans la répression sanglante des ouvriers parisiens révoltés lors des journées insurrectionnelles des 22-26 juin (Journées de Juin) dont le bilan s'élève à environ 5 000 insurgés tués ou fusillés, environ 1 500 soldats tués, 25 000 arrestations et 11 000 condamnations à la prison ou à la déportation en Algérie. Ces journées de juin creusent alors un fossé temporairement infranchissable entre les autorités de la République et les ouvriers.

Louis-Napoléon décide alors de se présenter aux élections législatives intermédiaires des 17 et 18 septembre 1848. Candidat dans les quatre départements qui l'avaient déjà élu en juin, il est aussi candidat en Moselle. Elu dans ces cinq départements, il obtient en tout 300 000 voix provenant également des départements de l'Orne, du Nord, et de la Gironde où il n'était pourtant pas candidat. Il rentre alors en France et s'installe à Paris le 24 septembre. Le lendemain, son élection est choisie sur les bancs supérieurs de la gauche, dans la cinquième travée, dans cette zone communément appelée la Montagne, derrière son ancien précepteur, le représentant Vieillard", dixit Victor Hugo.


A la suite de la promulgation, le 4 novembre 1848, de la constitution de la IIe République, Louis-Napoléon Bonaparte est candidat à l'élection présidentielle, la première au suffrage universel masculin en France. Ses adversaires sont Louis Eugène Cavaignac (républicain modéré), Alphonse de Lamartine (républicain), Alexandre Ledru-Rollin (républicain avancé), François-Vincent Raspail (socialiste) et Nicolas Changarnier (royaliste légitimiste).

Durant la campagne, qu'il fait financer par son amie anglaise Miss Harriet Howard et par le marquis Pallavicini, le prince prend de nombreux contacts (Proudhon, Odilon Barrot, Charles de Montalembert, etc...) et parvient à recevoir le soutien du parti de l'Ordre, à commencer par Adolphe Thiers, mais aussi le soutien de Victor Hugo pour qui, alors le nom de Napoléon ne peut se rapetisser. Les votes ont lieu les 10 et 11 décembre 1848 et les résultats proclamés le 20 décembre. Louis-Napoléon est élu pour quatre ans avec 5 572 834 voix (74,2% des voix) contre 1 469 156 voix à Cavaignac (19,6%), 376 834 voix à Ledru-Rollin (5%), 37 106 voix à Raspail (0.5%) et quelque 20 000 voix à Lamartine (0.3%)

Premier président de la République, âgé de 40 ans et 8 mois lors de son élection, il est le plus jeune président élu, jusqu'à l'élection d'Emmanuel Macron, âge de 39 ans en 2017. Son élection profite à la fois de l'adhésion massive des paysans, de la division d'une opposition hétérogène (gauche, modérée ou royaliste), et de la légende impériale, surtout depuis le retour des cendres de Napoléon Ier en 1840. Si quatre départements ne donnent pas la majorité relative à Louis-Napoléon (Finistère, Morbihan, Var et Bouches-du-Rhône), une vingtaine, essentiellement situés dans le sud-est et l'ouest, ne lui accordent pas de majorité absolue que dans 34 départements, il dépasse les 80% des suffrages. Son électorat, bien que majoritairement paysan, se révèle hétéroclite mêlant bourgeois hostiles aux partageux, citadins des petites villes et ouvriers parisiens. D'ailleurs à Paris, il réalise un score homogène, recueillant autant de voix dans les beaux quartiers de l'ouest de l'est.

Louis-Napoléon, qui s'est "toujours donné, en parole et en acte comme héritier de l'Empire" prête serment à l'Assemblée constituante le 20 décembre 1848 et "jure fidélité à une Constitution formellement contraire à "son destin". Devant les représentants, qui ne savent pas s'ils assistent à une convention ou à un parjure et l'applaudissent donc peu, il devient le premier président de la République française et, par conséquent, le premier à s'installer le soir même au palais de l'Elysée, choisi de préférence aux symboles monarchiques qu'étaient le palais des Tuileries et le Palais-Royal.

L'homme qui accède alors à la présidence se pense doublement légitime: d'une part parce qu'il est un héritier, celui de l'empereur Napoléon Ier, et d'autre part parce qu'il est le premier élu du peuple tout entier, adoubé par le suffrage universel masculin. Comme son oncle, le président Louis-Napoléon Bonaparte adhère aux principes juridiques et sociaux de 1789, comme lui, il pense qu'ils doivent "être complétés par un pouvoir politique fort", et comme lui, il est patriote et pense que la France est porteuse de valeurs. Par contre, en raison de son héritage et de son éducation maternelle, il croit au progrès, pense que l'Etat a un devoir d'intervenir pour faire face au paupérisme engendré par la modernité industrielle et admire l'Angleterre.

Ces éléments, son activisme et son réformisme social le rapprochent des républicains mais le fait qu'il soit un prétendant à la restauration de la monarchie impériale héréditaire empêche toute alliance avec eux et l'amène à pactiser avec le parti de l'Ordre tout en étant aussi son opposant.

Son élection est suivie de près à la Bourse de Paris, ou le cours du principal titre coté, la rente 5%, bondit de 65 à 80 en quelques jours.

La confrontation entre le président et l'Assemblée

La constitution de 1848 limite largement les pouvoirs du président qui est soumis soit à l'Assemblée soit au Conseil d'Etat. Dès son installation, Louis-Napoléon reprend l'apparat impérial, circulant à bord de coupés aux armoiries napoléoniennes et choisissant comme tenue officielle l'uniforme de général en chef de la garde nationale comprenant bicorne à plume, grand cordon et plaque de la légion d'honneur. Célibataire, sa compagne britannique Miss Howard ne peut prétendre au rôle de première dame et d'hôtesse de l'Elysée qui est finalement exercé par sa cousine, la princesse Mathilde. Si un homme vient à prendre de l'importance das l'entourage de Louis-Napoléon, c'est son demi-frère adultérin, l'homme d'affaires et ancien député Charles de Morny, dont Louis-Napoléon a découvert l'existence après le décès de sa mère et qui le rencontre pour la première fois en janvier 1849, à l'Elysée, avant de devenir un peu plus tard l'un des conseillers.

Dans le cadre de ses pouvoirs exécutifs, Louis-Napoléon demande à Thiers de former le premier gouvernement de la présidence mais celui-ci refuse. Aucun dirigeant orléaniste ne souhaite diriger le cabinet, ni aucun des républicains approchés par le président. C'est finalement Odilon Barrot, ancien chef de l'opposition constitutionnelle, qui accepte de diriger un gouvernement n'appartient à la mouvance du président, ce qui lui donne le nom de ministère de la captivité, selon l'appellation donnée par Emile Ollivier au motif que Louis-Napoléon en est le captif, encerclé par les hommes du parti de l'Ordre. L'un des leurs, le général Nicolas Changarnier, prend d'ailleurs la tête de la Garde nationale et de la division de Paris.

L'assemblée élue en 1848 tarde à se dissoudre et, à partir du 24 janvier, les tensions montent entre le gouvernement et les élus. L'épreuve de force est évitée de justesse à la fin du mois de janvier quand le général Changarnier, commandant de la garde nationale, prend l'initiative de rassembler les troupes autour de l'assemblée sous prétexte de la défendre contre un éventuel mouvement populaire. La pression de Changarnier, soupçonné de part et d'autre de préparer un coup d'Etat, le gouvernement et les députés à négocier. Ces derniers acceptent finalement, à une courte majorité, de se séparer.

L'expédition militaire de Rome et les élections législatives

La campagne des élections est perturbée par le déclenchement de l'expédition militaire à Rome que le gouvernement Barrot a initialement engagé comme une opération de couverture de la République romaine avec pour mission de s'interposer entre les volontaires républicains de Giusseppe Garibaldi et l'armée autrichienne venue secourir le pape Pie IX, chassé de Rome par les républicains.Le corps expéditionnaire français de 14 000 hommes, débarqué le 24 avril à Civitavecchia et dont la mission est en fait mal définie, fait alors face à la résistance des troupes républicaines sous le commandement de Garibaldi qui l'accueillent à coups de canon. Le 30 avril, le général Nicolas Oudinot est obligé de battre en retraite devant Rome laissant derrière lui plus de 500 morts et 365 prisonniers. Informé des événements Louis-Napoléon accepte toutes les requêtes de renfort demandées par Oudinot et, sans consulter ses ministres, lui demande de rétablir la puissance temporelle du pape. Outrés, 59 députés républicains exigent la mise en accusation du président français. Conjointement avec l'Assemblée, le président envoie également en Italie un nouvel ambassadeur plénipotentiaire, le baron Ferdinand de Lesseps, chargé de trouver une trêve avec les républicains romains. Ces décisions sont prises rapidement en raison de la proximité des élections législatives françaises organisées le 13 mai, la restauration du pape étant devenue l'un des principaux thèmes du débat électoral. Ces élections doivent permettre aussi de trancher entre le président et l'assemblée sortante à majorité républicaine. Le scrutin, marqué par un fort taux d'abstention (31%), se traduit par l'éviction de la majorité des sortants, dont Lamartine, et la victoire de l'Union libérale (59%) dominée par le parti de l'Ordre (53% des voix et environ 450 élus dont 200 légitimistes sur un total de 750 députés), par l'effondrement des républicains modérés (environ 80 élus) et la progression des démocrates-socialistes (34% des suffrages soit environ 250 élus).


La journée du 13 juin 1849 et ses suites

Ce "crétin que l'on mènera", selon l'expression d'Adolphe Thiers qui l'avait soutenu durant la campagne présidentielle parce qu'il croyait pouvoir l'utiliser en lui procurant de l'argent et des femmes avant de le remplacer au terme de son mandat, s'avère finalement beaucoup plus intelligent et retors. Après les élections de mai, Louis-Napoléon reconduit Odilon Barrot à la direction de son deuxième gouvernement comprenant notamment Alexis de Tocqueville (nommé aux Affaires étrangères) et Hippolyte Passy (confirmé aux finances). La nouvelle assemblée refuse de ratifier la trêve et l'accord négocié par de Lesseps tandis qu'Oudinot reprend l'offensive contre les troupes de Garibaldi avec, pour mission claire, cette fois, de rétablir le pouvoir temporel du pape. Les répercussions, en France, de cette expédition militaire atteignent leur paroxysme le 13 juin 1849 quand, à l'issue du vote de l'assemblée approuvant le renforcement de crédits financiers à l'expédition militaire contre la République romaine, un groupe de députés démocrates-socialistes, sous l'égide d'Alexandre Ledru-Rollin, réclame la mise en accusation du président de la République et du ministère d'Odilon Barrot, à qui ils reprochent de violer l'article 5 du préambule de la constitution selon laquelle la République vues de conquête, et n'emploie jamais ses forces contre la liberté d'aucun peuple". La manifestation républicaine organisée républicains se retranchent alors au Conservatoire national des arts et métiers où ils décident de siéger en convention et de constituer un gouvernement provisoire. Au bout de trois quarts d'heure, ils sont néanmoins obligés de prendre la fuite. L'échec de cette journée de manifestation entraîne de nouvelles mesures de répression, qui achèvent de désorganiser l'extrême gauche. Six journaux sont supprimés et, le 19 juin, l'assemblée adopte une loi sur les clubs permettant au gouvernement de suspendre la liberté d'association pour un an. Le 27 juillet, une loi complémentaire sur la presse est votée, instituant de nouveaux délits et règlements sévèrement le colportage. Enfin, le 9 août, une autre loi autorise le gouvernement à proclamer l'état de siège avec un minimum de formalités. Les responsables républicains impliqués dans la journée du 13 juin sont déférés devant la Haute Cour de justice de Versailles qui siège du 12 octobre au 15 novembre. Sur 67 accusés dont 16 députés, poursuivis pour "avoir participé à un complot ayant pour but 1e de détruire ou de changer la forme du gouvernement, 2e d'exciter à la guerre civile, en amant ou portant les citoyens à s'armer les uns contre les autres", 31 seulement sont présents. Les 16 députés sont déchus de leurs mandats électoraux tandis que Ledru-Rollin et 35 autres accusés absents sont condamnés par contumace à la déportation.

Les premiers voyages présidentiels en province

Louis-Napoléon Bonaparte se tient en retrait durant tout l'été 1849, laissant les hommes du parti de l'Ordre et l'assemblée voter toutes les lois permettant de renforcer l'ordre social. Pour se faire réellement connaître des Français et diffuser ses idées politiques, il inaugure en province des voyages de type présidentiel, profitant notamment du développement du chemin de fer. Soucieux de conforter sa popularité, il parcourt ainsi l'Hexagone, se faisant acclamer par la foule et les soldats. Partout où il se rend (Chartres, Amiens, Angers, Tours, Nantes, Rennes, Saumur, Rouen, Le Havre), il prêche avec des formules simples et directes la concorde et l'union de tous les citoyens, inaugurant ainsi une technique langagière éloignée des harangues rhétoriques utilisées par les représentants de la classe politique traditionnelle. Il écarte, à cette époque, une proposition de Changarnier qui l'assure de son soutien dans un éventuel coup  de force contre l'assemblée. La popularité du président est à son zénith, ce qui permet à la presse bonapartiste de commencer à militer pour la prolongation du mandat présidentiel. Durant ses déplacements, il est parfois accompagné discrètement de sa compagne, Miss Howard. Celle-ci fréquente peu le palais de l'Elysée et réside dans un hôtel particulier de la rue du Cirque où elle vit avec Louis-Napoléon et reçoit les familiers du président.

Politiquement, il se démarque un peu plus du parti de l'Ordre et de l'Assemblée, encore une fois à cause de la question romaine. En août, sa lettre de soutien à la "liberté italienne" contre le rétablissement de l'absolutisme du pouvoir temporel du pape lui accorde le soutien de la gauche et la désapprobation du gouvernement et de la majorité parlementaire. Le 31 octobre 1849, il obtient la démission d'Odilon Barrot puis la formation d'un nouveau gouvernement formé par le général Alphonse Henri, comte d'Hautpoul, un légitimiste vétéran des guerres napoléoniennes. C'est le "ministère des Commis", lié au duc de Morny, dans lequel on trouve Ferdinand Barrot, frère d'Odilon Barrot, mais aussi Eugène Rouher. La désignation de Victor Hugo à un poste ministériel est néanmoins écartée, au grand dam de ce dernier, à la suite de son discours incendiaire tenu contre le parti de l'Ordre à l'Assemblée dix jours plus tôt. Sa désignation aurait en effet été perçue comme une provocation par la majorité conservatrice, mais l'ancien pair du royaume tire de sa récusation ministérielle des implications politiques et personnelles lourdes de conséquences pour le président.

La loi Falloux et la loi électorale du 31 mai 1850

Même si le gouvernement est dévoué à Louis-Napoléon, il n'en reste pas moins que c'est l'assemblée qui vote les lois que le gouvernement doit ensuite appliquer. Profitant de sa position dominante, l'assemblée conservatrice approuve, le 15 mars 1850, par 399 voix contre 237, la loi Falloux sur la liberté de l'enseignement, favorisant de fait l'influence du clergé. N'ayant aucun intérêt à heurter ce dernier ou l'électorat catholique, le président ne songe pas à émettre de réserves. C'est également le cas pour la loi du 31 mai 1850, limitant le suffrage universel masculin. En imposant une résidence de trois ans pour les électeurs et en multipliant les cas de radiation des listes (vagabondage, condamnation pour rébellion ou atteinte à l'ordre public, etc...), la nouvelle loi élimine 30% du corps électoral dont beaucoup sont des artisans et des ouvriers saisonniers Cependant, même si les éliminés sont en grande partie des électeurs de la "tendance démocrate-socialiste", on y trouve aussi des partisans légitimistes ou des napoléoniens, partisans de la "démocratie plébiscitaire". Dans un premier temps, "Louis-Napoléon laissa faire et même favorisa la manoeuvre qui privait l'ennemi commun de moyen d'action légale" mais, dans un second temps, il "ne tarda pas à s'en désolidariser". Cette compromission avec les membres du parti de l'Ordre ne peut pas beaucoup lui plaire d'autant plus que le suffrage populaire est l'un de ses principes et que la nouvelle loi lui retire ses électeurs. Convaincu de pouvoir remporter une prochaine élection présidentielle avec une majorité considérable, la loi électorale qui vient d'être adoptée par l'Assemblée "demeurait à ses yeux temporaires et de toute circonstance" dans un contexte où les républicains ne peuvent accéder au pouvoir "ni par l'insurrection ni par l'élection". Durant sa tournée hexagonale de l'été, Louis-Napoléon constate l'effervescence qui monte dans les provinces. Au cours du voyage présidentiel qu'il effectue dans l'est, il critique l'Assemblée nationale en déclarant "Mes amis les plus sincères, les plus dévoués ne sont pas dans les palais, ils sont sous le chaume, ils ne sont pas sous les lambris, dorés, ils sont dans les ateliers et dans les campagnes". A Lyon, dans une ville qui ne lui est pas acquise, il déclare que "l'élu de 6 millions de suffrages exécute les volontés du peuple et ne les trahit pas", manière pour lui de désavouer publiquement la nouvelle loi électorale. En septembre 1850, en Normandie, terre acquise et conservatrice, il se pose en mainteneur de l'Etat des choses existant pourvu que le peuple veuille le laisser au pouvoir, multipliant les allusions à une évolution politique à venir en référence aux voeux exprimés par des conseils généraux sollicités en faveur d'une révision constitutionnelle pour permettre la réélection du président.

Au début de l'automne 1850, le conflit larvé entre le président et l'Assemblée est devenu une guerre ouverte. Durant l'été, l'Assemblée a adopté plusieurs autres lois liberticides (loi du 16 juillet 1850 sur la liberté de la presse, loi du 30 juillet 1850 sur la censure des théâtres). A son retour à Paris, Louis-Napoléon s'attache à organiser ses partisans déclarés, rassemblés notamment au sein de la Société du 10 Décembre et de celle du 15 août, et à mettre l'armée de son côté, multipliant les promesses d'avancement et les augmentations de solde. 

La Revue de Satory et ses conséquences

Le 10 octobre 1850, lors de la Revue de Satory, la cavalerie salue le chef de l'Etat en clamant "Vive Napoléon! Vive l'Empereur!" à la fureur de Changarnier, qui, depuis 1849, s'est éloigné du président et est passé dans le camp de la majorité parlementaire pour laquelle il est censé représenter le bras armé de la restauration monarchique. Changarnier commet un impair en tentant d'organiser un coup de force, proposant avec plusieurs membres de la commission de permanence de l'Assemblée de faire arrêter le président alors que Thiers propose de mettre en place une dictature pour une période de six mois. De provocations en provocations, Changarnier tente de pousser Louis-Napoléon à la faute. Habilement, ce dernier isole le commandant de la garde nationale de ses plus fidèles lieutenants et annonce son intention de le destituer est validé tandis que le gouvernement est remanié. L'affrontement avec les députés menés par Thiers se conclut par le vote d'une motion de défiance envers le cabinet par 415 voix contre 286. Louis-Napoléon ne passe pas outre, résiste aux sollicitations de Persigny d'employer la force et accepte la démission du gouvernement, remplacé par un "petit ministère", composé de techniciens et de fonctionnaires, entré dans l'Histoire sous le nom de "ministère sans nom". En échange de cette preuve d'apaisement de la part du président, l'Assemblée entérine la destitution de Changarnier. Néanmoins, Louis-Napoléon ressort victorieux de cette confirmation avec l'Assemblée, cette dernière ayant perdu celui qui faisait office de bras armé. Il pense alors pouvoir pousser son avantage et obtenir une modification des règles constitutionnelles qui lui permettrait de briguer un second mandat.

L'affrontement de 1851

La confrontation entre le président et l'Assemblée

Louis-Napoléon, président

Depuis qu'il a été élu au suffrage universel masculin avec 74% des voix, avec le soutien du Parti de l'Ordre, "président des Français" en 1848 contre Louis Eugène Cavaignac, Louis-Napoléon Bonaparte s'est retrouvé en confrontation politique perpétuelle avec les députés de l'Assemblée nationale. Ainsi, déjà endetté lors de sa prise de fonction, Louis-Napoléon n'avait cessé de demander l'augmentation de son traitement. D'abord de 600 000 francs, son traitement annuel avait rapidement été doublé à 1,2 million de francs. En 1850, il demande un nouveau doublement à 2,4 millions de francs, et l'Assemblée lui donne finalement 2,16 millions. En 1851, il demande encore une augmentation, cette fois de 1,8 million de francs supplémentaires (pour un total de 3,96 millions), que l'Assemblée refuse finalement par 396 voix contre 294.

 La tentative de réforme constitutionnelle

La constitution établissant la non-rééligibilité du président, Louis-Napoléon doit légalement quitter le pouvoir en décembre 1852. Comme les élections législatives doivent avoir lieu la même, l'assemblée vote le principe de tenir les deux élections à la même date, le 2 mai 1852, soit sept mois avant la fin théorique du mandat présidentiel. Durant l'année 1850, afin de permettre la réélection du président de la République, le gouvernement Hautpoul demande aux préfets de mettre à l'ordre du jour des réunions des conseils généraux des départements l'adoption d'un voeu de révision de la constitution de 1848. Ce faisant, il entre en conflit avec une partie des parlementaires peu favorables à une telle réforme des institutions. Au début de l'année 1851, la classe politique dans son-ensemble, à l'exception des républicains, est cependant convertie à l'idée d'une révision constitutionnelle pour supprimer la clause de non-réeligibilité du président de la République, le risque de voir Louis-Napoléon se représenter illégalement et remporter la majorité des suffrages populaires étant réel. Dans sa volonté de réformer la constitution, le président a le soutien d'Odilon Barrot, du comte de Montalembert et d'Alexis de Tocqueville. La première moitié de l'année 1851 est ainsi passée à proposer des réformes de la constitution afin qu'il soit rééligible et que son mandat passe de 4 à 10 ans. Or, à cette demande de révision constitutionnelle, le président ajoute l'abrogation de la loi électorale du 31 mai 1850 qui a supprimé le suffrage universel. Sur ce point, les résistances sont plus nombreuses et exprimées au sein même du parti de l'Elysée.

Le 11 avril 1851, Louis-Napoléon Bonaparte remplace le "ministère sans nom" par une nouvelle équipe ouverte aux membres du parti de l'Ordre, à commencer par Léon Faucher, dans le but de rallier le vote conservateur mais c'est un échec, Faucher lui-même restant hostile à l'abrogation d'un texte qu'il avait défendu un an auparavant. A la suite d'une vaste campagne de pétition recueillant 1 456 577 signatures sur l'ensemble du territoire national (avec une prépondérance de signatures en provenance du bassin parisien, de l'Aquitaine et du Nord), le duc de Broglie dépose, le 31 mai 1851, à l'assemblée, une proposition de loi soutenue par 233 députés pour réviser la constitution et ainsi rendre rééligible le président de la République. Louis-Napoléon lui-même ne reste pas inactif et se rend en province où ses discours, en forme de manifeste et d'appel au peuple, provoquant la fureur des conservateurs. Ainsi s'en prend-il, à Dijon, à "l'inertie de l'Assemblée législative" et se met-il "à la disposition de la France". Si les deux tiers des conseils généraux se rallient à sa cause, les orléanistes de Thiers et légitimistes de Changarnier s'allient à la fraction ouverte de gauche "Montagne parlementaire" pour le contrer.

Le 21 juillet 1851, au bout d'un mois de débat, l'Assemblée se prononce sur la réforme constitutionnelle. Bien qu'obtenant une majorité de 446 voix en sa faveur (dont celle d'Alexis de Tocqueville) contre 278 voix opposées, la révision constitutionnelle n'est pas adoptée, faute d'avoir obtenu plus de 3/4 des suffrages des députés, seuil exigé par la constitution. Il manque aux partisans de la révision une centaine de voix, dont celles des orléanistes intransigeants comme Charles de Rémusat et Adolphe Thiers.

La marche vers le coup d'Etat

Si les rumeurs de coup d'Etat ont commencé à circuler au début de l'année 1851, c'est à partir de l'échec de la révision constitutionnelle que la certitude d'une épreuve de force, dont l'initiative partirait de l'Elysée, s'impose dans le grand public. Celle-ci est minutieusement préparée à partir du 20 août 1851 à Saint-Cloud. Les initiés sont peu nombreux et regroupés autour du duc de Morny. On y trouve Victor de Persigny, un fidèle de Louis-Napoléon, Eugène Rouher, Emile Fleury, Pierre Carlier, le préfet de police de Paris et le général de Saint-Arnaud.

Conseillé par Morny, Louis-Napoléon entend redemander à l'Assemblée nationale de rétablir le suffrage universel masculin et d'abroger ainsi la loi électorale de 1850. Léon Faucher, qui refuse de soutenir l'initiative présidentielle, démissionne le 12 octobre, suivi des autres ministres du gouvernement. Un nouveau cabinet est formé le 27 octobre comprenant trois représentants de l'Assemblée et le général de Saint-Arnaud, nommé au ministre de la Guerre. Ce dernier rappelle aux militaires leur devoir "d'obéissance passive", le 1er novembre 1851 par une circulaire qui demande de "veiller au salut de la société". D'autres proches sont placés aux postes clés: le général Magnan est nommé commandant des troupes de Paris; le préfet de la Haute-Garonne, Maupas, est promu préfet de police de Paris en remplacement de Carlier.

Pendant ce temps, la proposition d'abrogation de la loi électorale est déposée à l'Assemblée le 4 novembre 1851. Elle est rejetée le 12 novembre par 355 voix contre 348, soit seulement par 7 voix de majorité.

Alors que des députés demandent la mise en accusation du président de la République, Thiers et ses amis tentent de réactiver un décret de la Constituante, tombé en désuétude, qui donnait au président de l'Assemblée le droit de requérir directement l'armée sans avoir à en référer au ministre de la guerre. Pour Louis-Napoléon, c'est une déclaration de guerre et un plan d'action est immédiatement mis au point pour mettre l'assemblée en état de siège au cas où une telle loi serait adoptée. La proposition est finalement repoussée par 408 voix (la majorité des républicains, les bonapartistes et de nombreux royalistes) contre 338 (la majorité des orléanistes et des légitimistes).

Convaincu de la nécessité d'un coup d'Etat du fait des derniers refus de l'Assemblée, Louis-Napoléon le fixe lui-même pour le 2 décembre, jour anniversaire du sacre de Napoléon Ier en 1804 et de la victoire d'Austerlitz en 1805. L'opération est baptisée Rubicon.

Coup d'Etat du 2 décembre 1851

Le coup d'Etat à Paris

cavalerie dans les rues de Paris le 2 décembre 1851


Dans la nuit du 1er au 2e décembre, les troupes de Saint-Arnaud prennent possession de la capitale, occupent les imprimeries (notamment pour empêcher les journaux républicains de paraître), procèdent aux premières arrestations de 78 personnes, parmi lesquelles figurent 16 représentants du peuple dont Thiers mais aussi les chefs de la Montagne et des militaires comme Changarnier qui auraient pu mener une résistance. Vers 6h30, des proclamations sont placardées sur les murs de Paris. Se fondant sur la crise politique qu'à son sens subit le pays, Louis-Napoléon dénonce l'Assemblée parlementaire et lui oppose la légitimité qu'il a lui seul reçue du pays tout entier lors de l'élection présidentielle de 1848. Dans son "appel au peuple" à destination des Français, il annonce une réforme de la constitution sur le modèle du consulat de son oncle de même que son intention de préserver les droits acquis en 1789 tout en faisant respecter l'ordre dans le pays. Une autre des proclamations placardées est destinée à l'armée qu'il salue comme une "élite de la nation que les régimes ayant succédé à l'Empire ont traitée en vaincue". Ses décrets imposent également la dissolution de l'Assemblée nationale et le rétablissement du suffrage universel masculin.

Le siège de l'Assemblée étant occupé par la troupe, 220 parlementaires, essentiellement du parti de l'Ordre, se réfugient à la mairie du 10e arrondissement. Se fondant sur l'article 68 de la constitution, ils votent à l'unanimité la déchéance de Louis-Napoléon mais ils sont aussitôt arrêtés sans avoir appelé le peuple à se mobiliser. Au soir du 2 décembre, Paris n'a pas bougé alors qu'une soixantaine de députés montagnards et républicains forment un Comité de résistance et en appellent au peuple contre le coup de force. Des étudiants qui manifestent sont matraqués par la police.

Le 3 décembre, une vingtaine de parlementaires républicains, comme Victor Schoelcher ou Victor Hugo, tentent de soulever les quartiers populaires de Paris sans grand succès. Quelque 70 barricades sont finalement érigées dans le faubourg Saint-Antoine et les quartiers du centre. Sur l'une d'elles, le député Alphonse Baudin est tué par des tirs de soldats. Au soir du 3 décembre, le nombre d'insurgés ne dépasse guère 1 000 ou 1 500 hommes, pour la plupart aguerris depuis 1848 aux barricades.

Dans la nuit du 4 décembre, environ 30 000 soldats sont déployés dans les zones tenues par les insurgés parisiens, principalement l'espace compris entre les grands boulevards et la Seine ainsi qu'au jardin du Luxembourg et à la montagne Sainte-Geneviève.

La journée du 4 décembre est marquée par la fusillade des grands boulevards où les soldats de la division Canrobert se sont rassemblés et côtoient une foule où se mêlent curieux et manifestants qui pour certains prennent à partie la troupe en exclamant "Vive la Constitution! Vive l'Assemblée nationale". Profondément "énervés par cette attitude hostile ou goguenarde", les soldats de la division Canrobert, "sans en avoir reçu l'ordre et au prétexte de tirs isolés" s'affolent, ouvrent le feu avant de faire usage d'un canon, perpétrant une effroyable fusillade du boulevard de Bonne-Nouvelle au boulevard des Italiens avant que des maisons ne soient "fouillées à la baïonnette". Le carnage fait entre 100 et 300 morts et des centaines de blessés.

Au soir du 4 décembre, la plupart des insurgés ont été écrasés. Le bilan de ces journées parisiennes est de 300 à 400 personnes tuées, aux 2/3 des ouvriers, auxquels s'ajoutent 26 tués et 184 blessés parmi les soldats. Le nombre de victimes reste néanmoins très éloigné des 5 000 morts des journées de juin 1848. Le Moniteur (ancêtre du Journal officiel) reconnaît plus tard le chiffre de 380 tués, la plupart sur les boulevards.

Dans son ensemble, le monde du travail est resté passif et ne s'est pas mêlé au combat, laissant se dérouler le "règlement de comptes entre le président et l'Assemblée". Pour Marx lui-même, la "dictature de l'Assemblée nationale était imminente", sa majorité comme sa minorité n'ayant d'ailleurs montré que peu de respect de la constitution et ne songeant qu'au coup de force et à l'insurrection. Paris est désormais sous contrôle militaire, en dépit de quelques mouvements sporadiques. Le 11 décembre, Victor Hugo s'exile à Bruxelles.

Les réactions en province

En province, la nouvelle du coup d'Etat se diffuse progressivement. A l'instar de Paris, les grandes villes réagissent faiblement. Des manifestations sont dispersées par l'armée à Marseille, Lille,Bordeaux, Toulouse, Strasbourg ou Dijon. Quelques conseils municipaux, en application de l'article 68 de la constitution, proclament la déchéance de Louis-Napoléon Bonaparte.

Un mouvement de résistance se développe dans les petites villes et les campagnes du sud-est et de la vallée du Rhône ainsi que dans quelques départements du Centre. C'est dans le département des Basses-Alpes qu'a lieu la seule véritable action d'envergure où un "Comité départemental de résistance" administre la préfecture du 7 au 10 décembre 1851, avant que l'armée et les forces ne viennent à bout de ces résistances.

La répression

Trente-deux départements sont mis en état de siège dès le 8 décembre: tout le pouvoir est localement donné aux autorités militaires qui, en quelques jours, maîtrisent rapidement les zones de résistance républicaine. Pendant 15 jours, celles-ci sont réprimées et, ponctuellement, des insurgés sont fusillés sommairement. Selon l'historien Louis Girard, commence alors contre les républicains "une chasse à l'homme, avec son cortège de dénonciations et d'exécutions sommaires. Puis, jusqu'en janvier 1852, ce sont des arrestations massives non seulement dans les départements soulevés, mais sur tout le territoire". Selon Maurice Agulhon, "le caractère massif et inique de la répression vint cependant de l'assimilation qui fut officiellement faite de l'insurrection effectivement accomplie à un complot républicain préparé de longue date". Tous les républicains, même ceux n'ayant pas pris les armes, sont alors assimilés à des insurgés en puissance, des complices ou des inspirateurs à l'insurrection. En conséquence, les forces de l'ordre (armée, gendarmerie et police) raflent, de la mi-décembre à janvier, des milliers de suspects, qui encombrent les prisons. Les partisans de Louis-Napoléon sont aussi décidés à endiguer toute révolution sociale. C'est donc "une répression massivement conservatrice tout imprégnée des rancoeurs du parti de l'Ordre" qui s'abat avant que les bonapartistes de gauche, à la fois progressistes et autoritaires, et certaines républicains, comme Geroges Sand, parviennent à obtenir, auprès de Louis-Napoléon, un adoucissement dans la répression et les sanctions.

Ainsi, dans un premier temps, 26 884 personnes sont arrêtées, essentiellement dans le Sud-Est, le Sud-Ouest et quelques départements du Centre, 15 000 sont condamnées dont 9 530 à la transportation en Algérie et 239 autres au bagne de Cayenne tandis que 66 députés (dont Hugo, Schoelcher, Raspail, Edgar Quinet) sont frappés de proscription par un décret présidentiel. Toutefois, les mesures de répression prononcées par les 82 commissions mixtes inquiètent Louis-Napoléon et lui-même est affectée par le bilan humain d'un succès payé au prix fort.Dans un second temps, Louis-Napoléon délègue en mission extraordinaire deux militaires de haut rang et un conseiller d'Etat, afin de réviser les décisions prises et préparer des mesures de grâce. Si les généraux Espinasse et Canrobert, chargés du Sud-Ouest et du Languedoc, font preuve de peu d'indulgence envers les condamnés avec un millier de grâces accordées, le conseiller d'Etat Quenin Bauchart, chargé du Sud-Est, accordé 3 400 grâces. Sollicité par toutes sortes d'influences, Louis-Napoléon Bonaparte use de son côté largement de son droit de grâce, souvent sur requête de tiers, à l'instar de ce que fit personnellement George Sand auprès du président. Le nombre des transportations en Algérie passe ainsi de 6 151 (chiffres représentant les transportations réellement effectuées) à 3 006 et, en fin de compte, le nombre des républicains remis en liberté passe de 5 857 (libérés en janvier 1852) à 12 632 (au 30 septembre 1853).

Pour le président, il n'est pas dans ses intentions que le nouveau régime prenne une "tonalité autoritaire, antirépublicaine et conservatrice". De fait, le futur Napoléon III reste obsédé par "le souvenir du serment violé, des morts de décembre, des brutalités de la répression" portant "le 2 décembre comme une tunique de Nessus" selon les mots de l'impératrice Eugénie. Politiquement, il tire profit de l'ambiguïté du mouvement de résistance qui, dans plusieurs départements, a revêtu le visage de la "révolte anarchique contre les riches". Il parvient à présenter le coup d'Etat comme une opération préventive de sauvetage de la société et à rassembler autour de sa personne des courants d'opinions jusque-là divergents (Flahaut, Falloux, Montalembert, Gousset, etc).

Les députés réfractaires, qui avaient voté un décret ordonnant la convocation de la haute cour de justice à la mairie du 10e arrondissement avant d'être arrêtés et incarcérés, sont rapidement libérés à l'exception des députés d'extrême-gauche et de quelques libéraux. Environ 70 personnalités de la gauche républicaine et quelques personnalités orléanistes sont condamnées à l'exil, rejoints par de nombreux intellectuels et par des membres de l'enseignement qui refusent de prêter le serment de fidélité au chef de l'Etat, exigé pour les fonctionnaires par le nouveau régime, tandis que la nouvelle loi relative au régime de presse renforce les entraves à la liberté d'expression pour les titres politiques. 

Liste des présidents de la République française

Présidents de la République

Deuxième République:


Louis-Napoléon Bonaparte (20 avril 1808- 9 janvier 1873)
Mandat: 20 décembre 1848- 2 décembre 1852



Troisième République:


Adolphe Thiers (15 avril 1797-3 septembre 1877)
Mandat: 31 août 1871-24 mai 1873




Patrice de Mac-Mahon (13 juillet 1808-17 octobre 1893)
Mandat: 24 mai 1873-30 janvier 1879





Jules Grévy (15 août 1807-9 septembre 1891)
Mandat: 30 janvier 1879- 2 décembre 1887




Sadi Carnot: (11 août 1837-25 juin 1894)
Mandat: 3 décembre 1887-25 juin 1894




Jean Casimir-Perier (8 novembre 1847-11 mars 1907)
Mandat: 27 juin 1894- 16 janvier 1895





Félix Faure: (30 janvier 1841-16 février 1899)
Mandat: 17 janvier 1895-16 février 1899





Emile Loubet (30 décembre 1838-20 décembre 1929)
Mandat: 18 février 1899-18 février 1906





Armand Fallières (6 novembre 1841-22 juin 1931)
Mandat: 18 février 1906-18 février 1913






Raymond Poincaré (20 août 1860-15 octobre 1934)
Mandat: 18 février 1913-18 février 1920





Paul Deschanel (13 février 1855-28 avril 1922)
Mandat: 18 février 1920-21 septembre 1920





Alexandre Millerand (10 février 1859-6 avril 1943)
Mandat: 23 septembre 1920-11 juin 1924





Gaston Doumergue (1er août 1863-18 juin 1937)
Mandat: 13 juin 1924-13 juin 1931





Paul Doumer (22 mars 1857-7 mai 1932)
Mandat: 13 juin 1931-7 mai 1932




Albert Lebrun (29 août 1871-6 mars 1950)
Mandat: 10 mai 1932-11 juillet 1940




Quatrième République 


Vincent Auriol (27 août 1884-1er janvier 1966)
Mandat: 16 janvier 1947-16 janvier 1954






René Coty (20 mars 1882-22 novembre 1962)
Mandat: 16 janvier 1954-8 janvier 1959




Cinquième République


Charles de Gaulle (22 novembre 1890-9 novembre 1970
Mandat: 8 janvier 1959-28 avril 1969




Georges Pompidou (5 juillet 1911- 2 avril 1974)
Mandat: 20 juin 1969-2 avril 1974




Valéry Giscard d'Estaing (né le 2 février 1926)
Mandat: 27 mai 1974-21 mai 1981





François Mitterrand (26 octobre 1916-8 janvier 1996)
Mandat: 21 mai 1981-17 mai 1995





Jacques Chirac (né le 29 novembre 1932)
Mandat: 17 mai 1995-16 mai 2007





Nicolas Sarkozy (né le 28 janvier 1955)
Mandat: 16 mai 2007-15 mai 2012






François Hollande: (né le 12 août 1954)
Mandat: 15 mai 2012-14 mai 2017





Emmanuel Macron en 2017Emmanuel Macron:(né le 21 décembre 1977)
                                    Mandat: 14 mai 2017-en cours


 Longévités des présidents de la République française (au 15 mai 2012), la couleur bleue indique la période de leurs mandats, la couleur jaune, la période hors fonction présidentielle